Bayrou sonne la charge contre le système français des retraites

François Bayrou appelle les jeunes à manifester contre le système de retraites par répartition. Avec des arguments tous indignes (moraux, économiques ou factuels) d’un premier ministre. Notre chroniqueur éco Bernard Marx démonte son argumentaire.
« Bayrou, c’est pire que tout. »
Simone Veil
Lors de la conférence de presse qu’il a tenu à Matignon le 26 juin 2025, François Bayrou n’a pas seulement (et vainement) appelé à prolonger encore, malgré son échec, le conclave sur les retraites. Il s’est également livré à une incroyable diatribe contre le système de retraite français :
« Franchement, si les jeunes garçons et les jeunes filles, ceux qui sont dans les générations les plus récentes, s’ils étaient conscients de la situation qui leur a été faite, ils manifesteraient dans la rue contre une organisation du système qui fait peser sur leurs épaules, s’ils travaillent déjà, ou qu’ils travaillent plus tard, le financement des retraites d’aujourd’hui. Quelle famille peut accepter cela ? Et tout ça se passe sans qu’on ne dise rien. Dans l’hypocrisie la plus complète. Parce que c’est de l’hypocrisie. Vous croyez qu’il y a un, des responsables, qui ignorent tout ça. Pardon de cette expression un peu forte. Ça m’indigne. Je trouve que cette irresponsabilité est d’abord une immoralité… »
En fait, de lever un prétendu secret partagé par les « responsables », le premier ministre ressert une antienne massivement répandue et bien identifiée par l’économiste Henri Sterdyniak, « celle d’une génération égoïste (les boomers) qui aurait organisé la mise en place d’un système insoutenable dont ils bénéficieraient au détriment de leurs enfants et petits-enfants ».
Avec en ligne de mire trois objectifs principaux : pas de retour sur la retraite à 64 ans et même si possible un nouveau recul ; la désindexation des pensions et la baisse de la valeur du point pour les retraites complémentaires ; la mise en place d’une retraite par capitalisation.
1. Le système de retraite développé progressivement après la 2ème guerre mondiale a permis un changement positif majeur. La retraite n’est plus simplement un risque contre lequel il faut s’assurer. Elle peut être un projet, un nouveau temps de la vie après celui de la jeunesse et celui du travail. Elle permet que la vieillesse ne soit pas massivement un naufrage. Dans ce système, les retraités ne sont pas simplement un fardeau, mais une catégorie sociale qui apporte à leurs proches et à la société, non seulement par leurs consommations mais aussi, souvent, par leur participation familiale et sociale.
2. François Bayrou prétend dévoiler et dénoncer une organisation du système qui fait peser sur les épaules de jeunes : le financement des retraites d’aujourd’hui. Mais c’est toujours le cas. Hier, aujourd’hui, demain, en 2030 ou en 2050. Les revenus annuels des inactifs sont et seront toujours payés par un prélèvement sur les revenus de la même année des actifs. Que cela se fasse par des cotisations, des impôts ou de l’épargne. Soit François Bayrou le sait et ce qu’il dit est hypocrite, indigne et immoral. Soit le premier ministre ne l’a pas encore compris et c’est pire.
3. Le système français par répartition constitue un contrat fort de solidarité intergénérationnelle. Chaque génération a droit à des conditions de retraites satisfaisantes parce qu’elle a participé aux retraites des générations précédentes. Tout ceci explique largement pourquoi toutes les générations, y compris les jeunes adultes, sont massivement opposées au recul de l’âge de la retraite et à l’abaissement de son niveau de vie. Cela explique aussi leurs doutes et leurs inquiétudes sur la viabilité de ce contrat.
4. Actuellement, le système de retraites français assure aux salariés à la retraite un niveau de vie moyen équivalent à celui des salariés actifs – cf ci-dessous le rapport du COR 20251.
C’est une moyenne assez satisfaisante même si elle regroupe des situations qui le sont moins : retraites des femmes, carrières hachées, travaux pénibles, carrières longues, importance des séniors sans emploi, ni retraite…
La part des retraites dans le PIB (14%) est certes dans le haut du tableau international, mais pas d’une façon insupportable. Mais inversement, la France est dans le bas de tableau pour le taux de pauvreté parmi les plus de 65 ans2.
5. Mais, comme le souligne Henri Sterdyniak, si le niveau de vie moyen des retraités est à peu près équivalent à celui des actifs, il y a bien un problème pour les enfants et pour les jeunes qui ont un niveau de vie moyen inférieur de près de 20 points à celui des actifs. C’est particulièrement vrai pour les familles nombreuses et les familles monoparentales. Bref, « la grande inégalité intragénérationnelle est celle qui frappe les familles avec enfants, les plus riches sont les couples de deux actifs sans enfant ». Cela n’est pas sans conséquences sur l’indice de fécondité qui est maintenant de 1,6 et donc sur le financement futur du système de retraite. L’enjeu n’est pas de baisser les retraites mais d’améliorer les salaires des femmes, les prestations sociales et les services publics pour les familles.
6. Le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites paru en juin confirme que le système français des retraites est, dans ses modalités actuelles, tout à fait soutenable que ce soit dans la prochaine décennie, à l’horizon 2050 ou même 2070. Le déficit, inexistant en 2024, serait de 5 milliards en 2025 entièrement dû au ralentissement économique. Il resterait limité à 0,5% du PIB d’ici à 2050. Les dépenses seraient maintenues à 14% du PIB mais ce sont les ressources qui baisseraient progressivement d’un point de PIB d’ici à 2050. En même temps, la promesse sociale d’un niveau de vie équivalent entre actifs et retraités ne serait plus tenue. Les pensions étant indexées sur les prix, les salaires sur la productivité et l’amélioration des carrières d’une génération à l’autre de plus en plus limitée.
Pas de raison de crier au loup. Mais pas de quoi renforcer vraiment et durablement la confiance des jeunes générations dans l’avenir du système de retraites. Et toutes les raisons au contraire pour ne pas limiter le débat sur les retraites à un choix entre la baisse des pensions, le recul de l’âge de la retraite et l’épargne pour qui en aura les moyens.
Les projections du COR évacuent totalement les questions écologiques. Elles tablent sur un taux de fécondité constant de 1,8, sur une progression de la productivité de seulement 0,7% par an, sur une évolution régressive des effectifs et des salaires de la fonction publique, sur un taux de chômage stable de 7%.
Bref tous les problèmes de l’économie française devraient être mis sur la table et débattus… Y compris une augmentation raisonnée et raisonnable des taux de cotisations des actifs.