TRIBUNE. À gauche, les deux blocs n’existent pas

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Le quinquennat Hollande, le refus de LFI d’assumer un rôle de reconstructeur de la gauche et la tentation hégémonique d’EELV. Voilà l’héritage récent de la gauche en 2022. Des irresponsabilités aux conséquences gravissimes.

Le quinquennat de François Hollande, en sonnant le glas de l’ère hégémonique de la social-démocratie en France, rejoignant en cela la plupart des autres pays d’Europe – avec plusieurs années de retard –, a profondément changé le paysage politique à gauche.

 

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La nature (politique, en particulier) ayant horreur du vide, deux partis en ont successivement – et temporairement – repris le leadership. En 2017, La France Insoumise arrivait aux portes du second tour, laissant entrevoir le rôle central qu’elle pouvait jouer dans la reconstruction du camp progressiste. Rôle qu’elle a pourtant refusé de jouer, se cantonnant à son statut d’écurie présidentielle – qui l’a amenée à, notamment, faire l’impasse sur certaines élections intermédiaires, telles que les municipales 2020, pour mieux se préserver, pensait-elle, pour 2022.

En 2019, c’est donc un autre parti, EELV, qui a pris l’ascendant à l’occasion des élections européennes. En dépit d’un score moins important (13,5% contre 19,6% pour Jean-Luc Mélenchon en 2017), la prégnance des thématiques écologiques dans la société laissait également la possibilité au camp écologiste de devenir le chef d’orchestre de la reconstruction. Rôle qu’il a, également, refusé de jouer, préférant parier sur une hégémonie de ses idées plutôt que sur les compromis inévitables qu’impliquent une union large.

Pour justifier leur irresponsabilité, les uns comme les autres utilisent le même argument : il y aurait à gauche deux blocs irréconciliables, le bloc de la gauche populaire face au bloc de la gauche écologiste. Nous l’affirmons très clairement : ces blocs sont des constructions artificielles.

La gauche en 2022 est héritière de ces trois moments : le quinquennat Hollande, le refus de LFI d’assumer un rôle de reconstructeur de la gauche et la tentation hégémonique d’EELV. Ils se traduisent d’ailleurs très bien dans les sondages, voire peut-être demain dans le résultat final : une candidate social-démocrate inexistante, un candidat du camp écologiste (pourtant rassemblé) qui peine à améliorer les scores très mauvais de son parti aux présidentielles passées et un candidat LFI qui, bien que largement en tête à gauche, apparaît dans les sondages de 2022 légèrement en deçà de ce que lui attribuaient les sondages de 2017 à la même époque.

Les conséquences de ces irresponsabilités à gauche, irresponsabilités du Parti socialiste d’abord, de La France Insoumise ensuite, d’EELV enfin, sont gravissimes. « Faut-il d’abord répondre à l’urgence de la fin du monde ou celle de la fin du mois ? » La question n’a plus aucun intérêt, puisque la gauche est en train de participer, par son irresponsabilité, à la réélection d’un président de droite libérale qui aggrave et l’une, et l’autre. « Faut-il se battre pour la justice sociale ou pour les avancées sociétales ? » Que la gauche se rassure : elle n’aura bientôt plus à y réfléchir, la droite et l’extrême droite feront reculer et l’une, et les autres.

Les irresponsables de la fracture

Pour justifier leur irresponsabilité, les uns comme les autres utilisent le même argument : il y aurait à gauche deux blocs irréconciliables, le bloc de la gauche populaire, représenté par LFI et, dans une nuance productiviste, le PCF, face au bloc de la gauche écologiste, représenté par EELV. Auquel nous pourrions ajouter un troisième bloc, celui de la social-démocratie, aujourd’hui éteint mais qui rêve de retour.

Nous l’affirmons très clairement : ces blocs sont des constructions artificielles dont l’unique objectif est de justifier a posteriori des clivages qui sont tout sauf politiques. Jamais, dans l’histoire de la gauche, les différents courants progressistes n’ont été si proches idéologiquement. Girondins contre montagnards, républicains contre démocrates, libéraux contre socialistes, socialistes contre communistes, etc. Depuis plus de 250 ans, la gauche se divise entre courants idéologiquement éloignés. En comparaison de ces clivages idéologiques, nos « fractures » paraissent bien superficielles.

Depuis la Révolution française jusqu’aux grandes périodes d’union de la gauche au XXème siècle (Cartel des gauches, Front populaire, Libération, Programme commun de 1981, gauche plurielle), les faits sont têtus : c’est en unissant leurs combats que les mouvements du progrès transforment la société.

Fracture sur l’écologie ? Le bloc « populaire » en fait un axe central de sa vision politique. Fracture sur la justice sociale ? L’écologie politique la met au cœur de son projet. Fracture sur l’Europe ? Les deux blocs s’accordent sur la nécessité absolue de revoir les traités, sans que personne à gauche n’envisage de Frexit. Fracture sur les institutions ? Qu’ils l’appellent Sixième République ou réforme constitutionnelle de la Cinquième, les uns comme les autres souhaitent une transformation radicale de notre démocratie, vers plus de démocratie directe et un meilleur fonctionnement de la démocratie représentative, à travers un rôle accru du Parlement. Même sur la politique extérieure, qui vient à cause de l’actualité rattraper violemment la campagne, les différences de points de vue ne sont pas insurmontables : la position de La France Insoumise s’est en effet clairement corrigée depuis l’attaque de l’Ukraine par la Russie, et aujourd’hui la principale différence concerne la définition du « pacifisme » de gauche, thématique déjà âprement discutée sous Jaurès il y a plus d’un siècle.

Il suffit de creuser un à un les clivages pour comprendre qu’il ne s’agit tout au plus que de différences d’appréciations. Les principales différences entre les deux blocs, pourtant, touchent en réalité à la structure de leur électorat : classes populaires d’une part, classes aisées d’autre part. Ces électorats nous sont présentés comme incompatibles : le bloc populaire joue historiquement sur sa détestation du « bourgeois », le bloc écologiste méprise quant à lui ces classes populaires qui utilisent leur voiture et côtoient sur les ronds-points des revendications aux relents « patriotes » prononcés.

Et pourtant. Pourtant l’histoire nous enseigne que, l’une comme l’autre, ces couches de la population n’ont jamais gagné seules. Depuis la Révolution française jusqu’aux grandes périodes d’union de la gauche au XXème siècle (Cartel des gauches, Front populaire, Libération, Programme commun de 1981, gauche plurielle), les faits sont têtus : c’est en unissant leurs combats que les mouvements du progrès transforment la société.

La logique de « blocs » irréconciliables, et artificiels qui plus est, ne tient donc pas. Il est urgent d’abandonner cette stratégie mortifère, qui fait deux victimes à court terme : le peuple et la planète.

Non, les deux blocs n’existent pas.

S’il est trop tard pour revenir sur cette stratégie dans le cadre de l’élection présidentielle – mais l’est-il vraiment ? –, il est encore largement temps d’abandonner la logique de bataille de blocs pour les élections législatives. Et, plus encore, pour la reconstruction de la gauche et de l’écologie.

 

Francis Poezevara, cadre national de Génération·s, membre de son bureau, administrateur de l’École du Progrès, animateur de la chaîne YouTube de vulgarisation politique Hémipléjik et conseiller municipal à Puteaux (92).

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