Roger Martelli : « La grande reconquête des milieux populaires et ouvriers par la gauche est encore devant nous »
Quels enseignements territoriaux et sociaux tirer du premier tour de la présidentielle ? L’historien Roger Martelli analyse les ressorts de l’élection dans #LaMidinale.
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Sur la nouvelle donne de l’échiquier politique français
« Les trois candidats arrivés en tête cumulent plus des trois-quarts des suffrages exprimés en laissant derrière eux leurs concurrents très loin – seul Éric Zemmour dépasse les 5%. »
« L’échiquier politique est partagé en trois : il y a d’abord une droite classique ou traditionnelle qui est phagocytée par le phénomène Macron ; une extrême droite qui a hésité pendant plusieurs mois entre deux figures, Marine Le Pen et Éric Zemmour ; Jean-Luc Mélenchon qui domine une gauche plus divisée que jamais. »
« Aux deux extrêmes de la répartition, on retrouve Jean-Luc Mélenchon qui domine l’espace métropolitain (il est largement en tête dans les villes de plus de 50.000 habitants) et Marine Le Pen qui domine l’espace des petites et moyennes villes. Entre les deux extrêmes, Emmanuel Macron a finalement une position centrale. »
Sur les votes et les territoires
« La logique présidentielle et celle des autres élections ne sont pas les mêmes, y compris les législatives. »
« Jean-Luc Mélenchon fait, au total, un progression de deux points sur son résultat de 2017 – alors même qu’il était alors en alliance avec le PCF. »
« Marine Le Pen a eu un concurrent à l’extrême droite mais elle ne l’a pas laminé : Éric Zemmour a quand même réussi à faire 7% – et il a joué parfaitement son rôle qui était de tirer une partie de la droite traditionnelle vers l’extrême droite. »
« La progression de deux points en 5 ans de Jean-Luc Mélenchon révèle d’énormes inégalités : elle tient d’abord par son caractère spectaculaire à deux endroits, les territoires d’outre-mer où ils doublent ses voix, et dans l’espace métropolitain et tout particulièrement dans l’espace francilien. »
« Dès 2012, Jean-Luc Mélenchon a commencé à s’ancrer dans les métropoles, ce que n’arrivait plus à faire le Parti communiste auparavant : il s’est glissé dans les habits d’un PC qui a disparu de la scène électorale. »
« Sur les territoires des petites communes, Jean-Luc Mélenchon n’a pas réussi à récupérer complètement les héritages antérieurs, notamment celui du Parti communiste. Et il connait même une relative érosion par rapport à son résultat de 2017. Rajoutons que ces petites villes sont des territoires marqués par la domination des catégories populaires et notamment ouvrières. »
Sur la gauche et les catégories populaires
« Ce premier tour de l’élection présidentielle a vu Jean-Luc Mélenchon progresser dans les territoires franciliens et notamment dans les municipalités communistes. Il y a fait des résultats extraordinaires qu’on n’avait pas connus depuis l’hégémonie du PCF. »
« Il reste une inconnue : ce phénomène présidentielle peut-il se reproduire ? Difficile à dire… »
« On sait que, dans la vie politique, les votes ne traduisent que partiellement une adhésion. On sait aussi que le vote utile, le vote de circonstances, le vote contre, occupe une part importante : quelle est son importance dans le vote Jean-Luc Mélenchon qui lui-même a travaillé ce vote utile ? On ne le sait pas. Les législatives permettront de trancher cette question. »
« Si les ouvriers ont continué, lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, à s’abstenir plus que la moyenne, les jeunes ont voté largement. Or, dans le cas des espaces franciliens, ils ont notamment voté Jean-Luc Mélenchon. »
« Jean-Luc Mélenchon s’est emparé de thèmes comme le refus des discriminations, les questions des revendications qu’on a caricaturé en wokisme ou islamogauchisme, la prise en compte réelle et sérieuse de la dimension écologique. »
« Jean-Luc Mélenchon a su devenir le creuset de thèmes qui sont particulièrement importants pour la jeunesse. »
« Dans les milieux populaires et ouvriers, on ne peut pas dire que la grande reconquête par la gauche de ces catégories est aujourd’hui actée. »
« Cela fait deux élections présidentielles que nous avons la même situation : une gauche affaiblie et archi-dominée. »
« Incontestablement, la force dominante a rassemblé autour d’elle le plus important du vote populaire : Jean-Luc Mélenchon obtient des scores pour le monde ouvrier et employé qui se situent entre 20 et 27%. Mais la plus grande partie des catégories populaires soit s’abstient (plus que la moyenne), soit continue de voter massivement pour l’extrême droite. »
« Nous assistons à une concurrence d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen pour le contrôle des espaces populaires avec un avantage bien installé à Marine Le Pen. Jean-Luc Mélenchon est distancé à cet endroit… Il n’a réussi qu’à en représenter une partie, celles qui se reconnaissent encore dans la gauche. »
« De façon générale, les catégories populaires ne se reconnaissent toujours pas dans la gauche et prennent de la distance vers la politique organisée et le vote, ou se réfugient dans l’extrême droite. »
« La reconquête des catégories populaires par la gauche reste un objectif qui reste devant nous. »