« Ma femme et moi, on éteint le linge »
Doudoune, col roulé et étendoir à linge. C’est ainsi que l’exécutif veut nous faire croire qu’il est à la pointe de la sobriété énergétique.
« On nous prend faut pas déconner dès qu’on est né
Pour des cons alors qu’on est
Des
Foules sentimentales
Avec soif d’idéal »
Alain Souchon, Foule sentimentale, 1993
En bande organisée, la Première ministre Élisabeth Borne, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire et le député LREM Gilles Le Gendre ont mouillé la chemise sur les ondes et les réseaux sociaux pour nous apprendre à faire, comme eux, le geste de sobriété sans douleur qui va nous sauver des risques de coupures de gaz et d’électricité.
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La doudoune d’Élisabeth Borne, le col roulé de Bruno Le Maire et l’étendoir à linge de Gilles Le Gendre, ont occupé les médias et fait réagir les réseaux sociaux. Cela préfigure l’annonce, en principe jeudi, du plan national de sobriété énergétique. Et cela mérite de s’y attarder un peu.
« You talkin’ to me ? »
Donc, le 27 septembre Élisabeth Borne a tweeté :
Pour répondre aux défis du pays, je veux bâtir un nouveau partenariat entre l’Etat et les grandes villes. Transition écologique, plein emploi et cohésion des territoires, c’est par le travail commun entre le Gouvernement et @France_urbaine que nous avancerons. pic.twitter.com/DHHNKNKBKG
— Élisabeth BORNE (@Elisabeth_Borne) September 27, 2022
En fait, c’était pour le port de la doudoune en extérieur et en intérieur qui se voulait exemplaire du geste qui ne coûte pas, et qui pourra rapporter gros. La version masculine (le col roulé) a été donnée le même jour par Bruno Le Maire.
— Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) September 27, 2022
Il l’a même annoncé à France Inter.
.@BrunoLeMaire sur la sobriété énergétique : « Nous ne mettrons pas le chauffage [au ministère] tant que la température ne sera pas en-dessous de 19°C » #le7930inter pic.twitter.com/5VaCnAggvu
— France Inter (@franceinter) September 27, 2022
On a retenu : « Nous ne mettrons pas le chauffage tant que la température ne sera pas en dessous de 19°. Et vous ne me verrez plus avec une cravate mais avec un col roulé et je pense que ce sera très bien et que ça permettra de faire des économies d’énergie, de faire preuve de sobriété. C’est la manière la plus efficace de passer l’hiver sans avoir à couper l’énergie pour qui que ce soit ».
Mais on a oublié, trop vite, la question incisive et ironique d’Antoine, à qui Bruno Le Maire était censé apporter une réponse. La question était « Allez-vous attendre jusqu’à décembre pour mettre le chauffage à Matignon et à Bercy comme dans le collège de ma fille ? » Une vraie et bonne question : que fait-on dans les établissements scolaires pour se protéger des effets de l’explosion du prix de l’électricité, mal couvert par le bouclier tarifaire du gouvernement. Mais, pour Bruno Le Maire il n’y a pas de problème à ne chauffer le collège de la fille d’Antoine qu’à partir de décembre. Il était là pour délivrer une punchline.
Mais à qui s’adressait-il ? Qui a-t-il en réalité insulté ? Et que cherchait-il si bruyamment à nous cacher ?
L’Office national de la précarité énergétique (ONPE) a publié, le même jour, son tableau de bord annuel. On y lit qu’en 2021, 20% des Français déclarent avoir souffert du froid au cours de l’hiver pendant au moins 24 heures et dans 40% des cas en raison d’une mauvaise isolation – il y a 5 millions de logements passoires thermiques. Que, pour 84% des Français, la consommation d’énergie est un sujet de préoccupation majeur. Qu’un quart des ménages connait des difficultés à payer leur facture d’énergie. Et que 60% des Français ont restreint leur consommation de chauffage, soit près du double qu’en 2019.
Or, en même temps qu’il prêche le port du col roulé, Bruno Le Maire présente un projet de loi de finances pour 2023 dans lequel il ne met que 100 millions d’euros de plus dans l’isolation des logements, soit à peine 2500 rénovations globales supplémentaires.
Sur France Info, l’inénarrable Gilles Legendre, a martelé « qu’il faut montrer l’exemple ». « Par exemple chez moi, ma femme et moi on a décrété qu’on ne se sert plus du sèche-linge. On éteint le linge. On étend le linge. Honnêtement ce n’est pas très compliqué à faire. Eh bien chaque Français, chaque Française doit trouver le moyen qu’il a et qui est en effet pas douloureux du tout. On ne demande pas au gens à renoncer à regarder la télévision. On ne leur demande pas de vivre dans le noir. On dit simplement que quand une pièce est inoccupée et qu’on éteint le courant, ça y est les 10% ils sont tout près. Donc c’est ça qu’il faut faire. »
⚡️ « Chaque Française et Français doit trouver le moyen, qui n’est pas douloureux, de faire des économies d’énergie. On ne leur demande pas de vivre dans le noir ! »
Le député @GillesLeGendre revient sur les mesures du plan de sobriété énergétique .
📺 #franceinfo canal 27 pic.twitter.com/FIDOO6LM4Y
— franceinfo plus (@franceinfoplus) September 28, 2022
La décision prise par sa femme et lui-même était, malgré tout, si stressante que Gilles Le Gendre a mélangé, dans un beau lapsus, les éléments de langage. Il éteint le linge avant de l’étendre.
Et là, pareil, seuls 28% des ménages selon l’Insee et 34% selon les professionnels de la profession sont équipés d’un sèche-linge. Mais c’est dans la France de la ruralité et des petites villes, et pas du tout à Paris, qu’ils sont les plus fréquents et les plus utiles. Le député des 5ème, 6ème et 7ème arrondissements de Paris a donc tout faux. Et il met soigneusement l’essentiel sous le tapis. À Paris comme ailleurs, la consommation énergétique est étroitement proportionnelle à la richesse. Sans réduction des inégalités, la sobriété est une austérité pour les plus pauvres. Et elle est inefficace.
« Quand les événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs »
Comme il se doit, c’est la présidence de la République qui, le 5 septembre, a donné le cap de cette sobriété énergétique à la Française pour passer l’hiver : « Pour éviter les coupures d’électricité et préserver l’activité économique, le Président Emmanuel Macron a appelé à la sobriété énergétique et a fixé l’objectif d’économiser 10% de ce qu’on consomme habituellement, via des gestes simples notamment sur le chauffage et en se basant sur une logique volontariste, en appelant à la responsabilité de chacun ». Et même le chef de l’État a sorti le col roulé du placard !
Écologie, école, santé, démographie, travail… Rendez-vous maintenant sur https://t.co/W5wCpOsxLZ pour apporter vos idées et bâtir ensemble l’avenir de la France. pic.twitter.com/atDO9jFLUt
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) October 3, 2022
En réalité, comme l’explique Maxime Combes, c’est la température – et non les doudounes, les cols roulés et l’étendage manuel du linge – qui dictera l’ampleur des délestages. L’économiste se réfère à une étude de RTE parue à la mi-septembre : « Ce qui ressort particulièrement du rapport de RTE sur l’électricité, c’est que la grande variable sur laquelle personne n’a de prise est de savoir si nous allons faire face à un hiver rigoureux ou non. Dans le cas d’un hiver doux, les risques restent très limités. À l’inverse, dans le cas d’un hiver très froid, le rapport prévoit une réduction de la consommation française de 15% à certains moments, avec beaucoup d’incertitudes sur la capacité d’approvisionner l’ensemble des consommateurs français en électricité et en gaz. Vraisemblablement, les seules demandes d’éco gestes et de sobriété individuelle non contraignante ne seront pas suffisantes et il y aura donc des délestages relativement intenses ».
Mais pour le gouvernement peu importe. Si l’hiver est doux et qu’il n’y a pas de coupure ce sera grâce à sa mobilisation des Français. Et si l’hiver plus rigoureux entraîne des coupures, ce ne sera pas de son fait, mais de l’indiscipline légendaire de trop de Français.
Et pendant ce temps-là, notre dépendance aux énergies fossiles perdurera et la mutation vers une véritable sobriété énergétique de notre système de production, de consommation, de transport et de logement continuera d’attendre.