Crises des services publics : dépenser plus et dépenser mieux… dans la santé

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Bernard Marx poursuit son passage en revue de la crise des services publics et les immenses dégâts des politiques austéritaires en matière de dépenses publiques que droites et patronat veulent aggraver. Cette semaine, focus sur la santé.

 

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« La France est le 3ème pays au monde pour ses dépenses de santé (en pourcentage du PIB, derrière les États-Unis et la Suisse) mais se situe en 13ème position des pays de l’OCDE pour le taux de mortalité évitable par la prévention. En outre, plus de 55% des adultes de 65 ans et plus déclarent un état de santé médiocre (contre seulement 31% en Suisse). Les dépenses de santé contiennent trop de dépenses administratives (20% selon l’OCDE), qui ont longtemps augmenté plus vite que les dépenses de soins ».

Medef, « Faire réussir la France », Présidentielles 2022

« L’enjeu prioritaire est celui de la maîtrise des coûts de la santé ».

Cour des Comptes, « Les enjeux structurels pour la France », décembre 2021

En réalité :

1. La France ne se caractérise pas par un niveau de dépenses de santé particulièrement élevé.

En 2019, les dépenses de santé en France, selon la définition internationale de la dépense courante de santé (comprenant la consommation de soins et de biens médicaux, les dépenses de prévention les dépenses liées à la gouvernance du système de santé, et y compris les revenus de remplacement et les dépenses liées à l’invalidité et au handicap) s’élevaient à 270 milliards d’euros, représentaient 11,1% du produit intérieur brut (PIB). Cela place la France nettement en dessous des États-Unis (17% du PIB) ; un peu en dessous de l’Allemagne (11,7%) et de la Suisse (11,3%) ; et un peu au-dessus de la Suède, du Japon, du Canada, de la Belgique, de la Norvège et des Pays-Bas (tous au-dessus de 10%).

Surtout, si l’on tient compte de la population et du niveau de vie, la France n’est plus en tête du peloton. La dépense de santé en parité de pouvoir d’achat par habitant s’élève à 4067 euros en 2019 soit deux fois moins qu’aux USA. Elle est au 8ème rang des pays d’Europe et au 12ème des pays de l’OCDE.

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2. Les dépenses de santé tendent à augmenter davantage que la croissance du PIB.

Ce n’est pas en soi une mauvaise chose. Au contraire. Le développement économique doit servir à mieux répondre à ce besoin fondamental des êtres humains. Et ce besoin est un bien commun. Il doit être partagé y compris au-delà même des frontières nationales. À quoi il faut ajouter le vieillissement de la population qui fait augmenter les dépenses, parce qu’elles sont plus élevées à la fin de la vie ; les besoins en dépenses de recherche et de d’équipement, l’inefficacité de la course à la productivité.

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3. Les structures différentes et l’organisation des systèmes de santé sont le fruits d’histoires nationales de lutte et de compromis spécifiques. Il en résulte des avantages et des effets négatifs.

En France, la conquête de la Sécurité sociale et la généralisation de l’assurance maladie obligatoire cohabite avec le rôle maintenu des organisations mutualistes et des assurances privées (13,5% en moyenne des dépenses totales). Le reste à charge pour les ménages est en moyenne de 7%. Les hôpitaux publics occupent une place centrale dans le système des soins, et la production des soins en ville est dominée par la médecine libérale et la tarification à l’acte. La prévention et la politique de santé publique sont les parents pauvres du système.

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4. Les résultats sont globalement assez bons mais les inégalités sociales de santé restent fortes.

L’espérance de vie y est parmi les plus élevées du monde, mais pas l’espérance de vie en bonne santé (qui est en moyenne de moins d’un tiers de la vie après 65 ans). La mortalité infantile (nombre de décès d’enfants au cours de leur première année de vie (3,8 pour 1000 en 2019), est nettement au-dessus de la moyenne de d’l’Union européenne (3,4 pour 1000). Et la France est l’un des pays développés où les inégalités sociales de santé sont les plus élevées.

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Plus on est riche, plus l’espérance de vie est élevée : 8,3 ans d’écart pour les femmes ; 12,7 ans d’écart pour les hommes.

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L’espérance de vie à 35 ans des cadres est supérieure à celles des ouvriers et l’écart est stable depuis les années 1970 : Proche de 3 ans d’écart pour les femmes. Proche de 6,5 ans d’écart pour les hommes. Compte tenu d’une forte inégalité d’espérance de vie entre femmes et hommes (5,8 ans en 2019 quasi stable depuis 1950), l’espérance de vie des femmes ouvrières est supérieure à celle des hommes cadres. L’écart entre les cadres et les ouvriers est stable depuis les années 1970.

5. Les structures spécifiques du système de santé français génèrent des surcroîts de dépenses qui ne se traduisent pas par une amélioration de la santé :

  • l’insuffisance de la prévention et la concentration du système sur les soins génèrent des effets négatifs sur la santé des populations et des surcoûts comme par exemple une forte consommation de médicaments.
  • la concurrence entre médecins et la prééminence de la tarification à l’acte dans les soins de ville génère une multiplication des actes. Le système des médecins référents et la faible revalorisation des tarifs des actes a limité mais pas enrayé ces tendances.
  • les frais de gestion des complémentaires santé (mutuelles et assurances) sont énormes. Sans rapport avec ceux de la Sécurité sociale et souvent redondants avec eux. En 2020, les complémentaires santé n’ont reversé aux assurés que 78% de leurs cotisations sous forme de prestations.

6. Depuis plus de 20 ans, la politique menée par les gouvernements successifs vise à limiter la croissance des dépenses de santé, prioritairement les dépenses publiques.

Cette politique est menée au nom du double objectif de réduire le déficit public et le taux de prélèvement obligatoire. Pour ce faire, les dépenses de santé sont soumises à une double pression : l’équilibre des comptes et le respect de la norme d’évolution de l’assurance maladie adoptée chaque année par le Parlement (Objectif National d’Assurance Maladie, ONDAM). Cette norme est présentée comme la résultante des tendances dites naturelles d’évolution des dépenses des différents types de soins et des efforts qui devront être faits pour réaliser des économies.

Depuis les années 2010, l’objectif annuel adopté est de plus en plus restreint, y compris par rapport à la tendance dite naturelle. Et il a été respecté jusqu’en 2019.

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7. L’hôpital public est géré de plus en plus comme une entreprise. Le double encadrement de l’ONDAM et de la tarification à l’acte (T2A) est délétère.

Pour limiter les dépenses publiques, les gouvernements ont cherché à limiter les capacités d’accueil des hôpitaux en réduisant le nombre de lits et à promouvoir les soins ambulatoires en ville et à l’hôpital. Entre 2000 et 2018, La France a réduit son nombre total de lits d’hôpitaux et son nombre de lits pour soins aigus de 20%. Mais cette politique a des limites. Elle a tourné à la catastrophe avec l’épidémie du covid. La prise en charge des patients n’a été possible qu’au prix d’une mobilisation épuisante des personnels et d’un report de soins programmés avec des conséquences sur les patients qui ne sont pas encore entièrement évaluables.

En dépit de ces restrictions systématiques, le volume des soins a en fait continué d’augmenter d’autant plus que la tarification à l’acte, incite chaque établissement à délivrer des soins pour préserver sa situation financière. De plus, les hôpitaux privés, non soumis à l’obligation de ne pas trier les soins, peuvent se concentrer vers les activités les plus rentables.

Au total, entre 2009 et 2019, explique Pierre-Louis Bras, ancien directeur de la Sécurité sociale, « le volume des soins pratiqués à l’hôpital public a augmenté de 19%. Les dépenses en valeur des hôpitaux publics n’ont pu être contenues à 24,3% que parce que l’évolution du prix des soins a été très faible sur la période (4,7%), alors que dans le même temps arrivaient de nouveaux anticancéreux très onéreux. »

La contrainte a été reportée sur les dettes qui ont augmenté, sur les investissements qui ont été réduits, et sur les dépenses de personnels (salaires et emplois) qui ont été pressurées.

Entre 2009 et 2018, les effectifs des hôpitaux publics ont augmenté de 3,4% (2,4% pour le personnel non médical ; 10 et 12,6% pour le personnel médical). Sur la même période, la production de soins en volume a progressé de 18,7%. En 2008 le salaire mensuel net moyen, dans la fonction publique hospitalière, était de 2158 euros (en équivalent temps plein). En 2019, il était de 2315 euros. Soit une augmentation de 7% en 11 ans. Dans la même période, les prix à la consommation ont officiellement augmenté de 12%. Soit une perte de pouvoir d’achat de 4,6%.

8. Le développement des déserts médicaux
Le développement des inégalités sociales et territoriales est une conséquence directe de la gestion de la médecine libérale conjuguée à la politique de compression des dépenses publiques. L’offre de soins de proximité tend à se réduire du fait de la politique de numerus clausus qui a limité le nombre des médecins formés durant les décennies passées. La liberté d’installation aggrave les inégalités territoriales. Près d’un médecin spécialiste sur deux pratique des dépassements d’honoraires.

Le décompte des populations concernées par ce qu’on appelle les déserts médicaux varie de 5,7% de la population (3,8 millions de personnes selon la définition la plus restrictive du ministère de la Santé) à 18%. Quelle que soit la définition, le phénomène s’aggrave. Au niveau des régions, les territoires d’Outre-Mer, l’Île-de-France et le Centre-Val de Loire sont les plus touchés.

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La carte interactive de la DREES de l’accessibilité potentielle localisée aux médecins généralistes, aux infirmiers, aux sage -femmes et aux masseurs kinésithérapeutes est disponible ici.

 

9. La crise covid a révélé l’ampleur des dégâts d’une politique guidée par l’objectif de réduction des dépenses publiques et non par les besoins de soins de la population.

« Ce mode de régulation, constate Pierre-Louis Bras, a volé en éclat pour ce qui concerne les établissements de santé […] Les besoins du système de soins, du moins ceux des établissements de santé, ont dû être reconnus. Après la première vague, le Gouvernement, régulateur des dépenses de santé, aurait été sanctionné s’il n’avait pas fait droit aux demandes exprimées avant la crise par les personnels de l’hôpital public ».

Les dépenses ont explosé l’enveloppe prévue en 2020, 2021 du fait des dépenses liées au covid et au Grenelle de la Santé.

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Mais il est très significatif que ces dépenses sont considérées par le gouvernement d’Emmanuel Macron comme une parenthèse. Les suppressions de lits ont continué dans les hôpitaux publics. La loi votée par le Parlement prévoit que l’ONDAM baisse toutes dépenses confondues de 0,6% dès 2022. Le Grenelle de la Santé est considéré comme un solde de tout compte. Et l’ONDAM devrait retrouver au plus vite le rythme restrictif des années passées.

10. La santé n’occupe pas la place qu’elle devrait avoir dans le débat politique de la présidentielle.

Il faut y voir hélas, la prégnance de l’idéologie qui en fait une dépense et un coût qu’il faudrait limiter au maximum.

Il faudrait au contraire oser remettre les soins au centre du débat et affirmer le principe fondamental qui devrait guider la politique de santé : garantir l’accès de tous à des soins de qualité quelque soit son état de santé et sa situation économique.

L’ONDAM devrait être entièrement transformé pour devenir un instrument de planification pluriannuelle. De nouveaux objectifs devraient être débattus et mis en œuvre, tels que la suppression des déserts médicaux, une meilleure prise en charge des soins de ville, une orientation collective de l’installation des médecins, une mise en place systématique de maisons de santé mettant en synergie tous les producteurs de soins de ville. Il faut donner un rôle et une place beaucoup plus importante à la prévention et à la politique de santé publique, notamment à la veille sanitaire. Il faut transformer les pratiques et les institutions pour prendre soin des personnes âgées, mieux traiter les maladies chroniques et dégénératives, cesser de traiter l’hôpital public comme une entreprise « comme les autres » et remettre l’hospitalité au cœur de son fonctionnement.[[Fabienne Orsi et Benjamin Coriat, « Se Soigner », dans Les Économistes atterres : De quoi avons-nous vraiment besoin ?, Les Liens qui Libèrent octobre 2021.]]

Et il faudrait en même temps débattre des moyens à mettre en œuvre pour le financement d’une telle politique. Des moyens supplémentaires et des moyens actuellement mal utilisés que l’on devrait redéployer.

 

Bernard Marx

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