C’est quoi cette abstention des députés insoumis sur le génocide ouïghour ?
Jeudi 20 janvier 2022, sur proposition des députés socialistes, une résolution dénonçant le génocide ouïghour a été votée à la quasi-unanimité de l’Assemblée nationale. Seuls les députés insoumis et un député communiste se sont abstenus.
À la tribune de l’Assemblée, Clémentine Autain a expliqué l’abstention de son groupe. Surprise et déception parmi les défenseurs de la cause ouïghoure : la députée LFI de Seine-Saint-Denis a continûment agi en faveur des Ouïghours, relayant même des mots d’ordre dénonçant le génocide contre ce peuple musulman, aux confins de la Chine. Aussi rappelait-elle dans son intervention le caractère « glaçant » (tortures, viols, travail forcé, détentions de masse, fœtus arrachés…) des témoignages qui nous proviennent de Chine, et parlait de « dynamique génocidaire » en cours.
Surenchère verbale… et dans les actes ?
Comment expliquer cette abstention ? Plusieurs arguments sont avancés par la députée pour justifier ce choix. Le premier porte sur la précision des mots dans l’hémicycle et sur l’usage, dans un texte voté par des députés, du terme de génocide. Cet argument aurait sûrement pu avoir davantage de poids si son collègue François Ruffin n’avait parlé la même semaine de « la banalité du mal » à propos de la gestion de la crise sanitaire. Il reprenait ainsi, pour fustiger la politique menée par le gouvernement et l’Élysée, un concept que la philosophe Hannah Arendt, théoricienne du « totalitarisme », utilisait pour caractériser la somme des gestes qui ont conduit au génocide juif. La politique du clash, dont l’usage est destiné théoriquement à heurter le bourgeois et le petit bourgeois, peut se retourner contre son utilisateur. Si la politique sanitaire du pouvoir est rabattue du côté du nazisme, comment ne pas assimiler la distance avec le terme de « génocide » avec de la complaisance vis-à-vis des crimes de masse du pouvoir chinois ?
Distante avec cette surenchère verbale, Clémentine Autain insiste. S’appuyant sur les arguments de l’ONU ou de chercheurs spécialistes, elle conteste, en l’état des connaissances, l’usage du terme de génocide, rappelant qu’il n’est réservé qu’à trois génocides, le génocide arménien, le génocide juif et le génocide tutsi. La politique de Pékin est assurément répressive, attentatoire aux droits humains. Vise-t-elle à l’extermination du peuple ouïghour ? Des spécialistes avancent que le terme de génocide ne rend pas compte de la réalité des actes et des objectifs du pouvoir chinois. À ce stade, Clémentine Autain préfère parler de crime contre l’humanité, même si l’opinion publique tend à confondre les deux. Au fond, elle ne fait que s’inscrire dans la lignée d’Amnesty International qui estime n’avoir pas encore assez de preuves pour parler de génocide. Mais la prudence n’est pas l’indulgence.
Deux poids, deux mesures
Les détracteurs de Clémentine Autain lui opposent que ce type de résolution ne vise pas à figer dans le marbre des vérités : il sert des objectifs politiques, en l’occurrence la reconnaissance internationale et officielle de ce qui se passe dans le Xinjiang. L’abstention du groupe LFI est-elle, dans ce cas, utile au peuple ouïghour et à cette lutte ? La députée de la Seine-Saint-Denis dit ne pas vouloir s’en tenir à cette abstention et annonce qu’elle votera la motion portée par le groupe Territoire et liberté prévue en novembre qui parle de « risque génocidaire » et propose des actions concrètes. « La Chine trouvera davantage d’alliés pour récuser l’accusation de génocide que celle, irréfutable, de crime contre l’humanité » avance-t-elle. Elle entend exiger que l’ONU enquête pour définir la nature exacte de ce qu’il se passe.
Le second argument avancé au nom de la France insoumise est celui de la pratique du double langage. Argument souvent entendu auprès des organisations en faveur des droits de l’homme qui reprochent aux autorités officielles le deux poids, deux mesures. Et il est vrai que le Parlement français est peu mobilisé au côté des Palestiniens ou des Égyptiens… voire pas mobilisé du tout. Sur Mediapart, Clémentine Autain assène que « l’inflation des mots ne peut pas camoufler la faiblesse des actes de ceux qui sont au pouvoir ». Elle relève l’absence significative du ministre des Affaires étrangères au moment du vote et rappelle que Paris s’apprête à envoyer en Chine une délégation pour les Jeux olympiques et ne rechigne pas à rencontrer dirigeants et acteurs économiques chinois. On peut s’étonner de la déclaration du président du groupe LREM, Christophe Castaner, qui reprend le terme de génocide, mais ajoute qu’il ne s’agit pas de « montrer du doigt un État ». Voilà que l’on fustige le crime mais que l’on en dédouane le responsable…
Un parfum de guerre froide
Troisième argument, celui du parfum de guerre froide qui flotte à l’encontre de la Chine. Il est vrai que la lutte pour conserver la suprématie occidentale en matière économique et politique s’intensifie. Joe Biden n’est-il pas venu en Europe chercher le soutien et l’unité des Européens autour de cet axe stratégique majeur ? La France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon ne manquent pas de le souligner et de s’y opposer. Il faut sûrement voir dans la récente abstention du groupe parlementaire un refus de participer à une mécanique politique qui nous ramène aux dangereuses expériences du passé. L’alternative à la volonté de puissance occidentale est-elle pour autant trouvée ? On peut en douter. L’argumentaire actuel de LFI trouverait plus de poids s’il n’entrait pas en conflit avec d’autres réflexes de guerre froide, comme de dénoncer systématiquement tout ce qui vient de Washington. Valoriser les vaccins russes, chinois ou cubains face aux vaccins occidentaux ne suffit pas à faire de vous un non-aligné.
Comme nous le confiait un chercheur en politique internationale, sur ce sujet, « l’ambiguïté est un virus politique trop souvent utilisé comme une ressource ». De toutes parts. Parmi les votants d’hier, rares sont ceux qui osent tenir tête à la Chine, car, en fait, on ne croit plus guère aux vertus du multilatéralisme. Celui-ci nécessite patience et longueur de temps. Et, surtout, il exige de conserver les objectifs de défense de « la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables, fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Si les relations internationales devraient se fonder sur le respect intransigeant des principes et des valeurs, on ne peut se contenter de les proclamer aux tribunes des assemblées, sans les assortir des actes qui les font vivre.