Alexandre Jubelin, historien, producteur du podcast d’analyse militaire et stratégique Collimateur, rattaché à l’IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire), est l’invité de #LaMidinale.
UNE MIDINALE À VOIR…
ET À LIRE…
Sur la guerre de Poutine
« Pour savoir si Poutine a gagné ou perdu la guerre, il faudrait déjà savoir quels étaient
ses objectifs. Et ça, personne ne le sait réellement. »
« Quoi qu’il arrive, le coût de la guerre en Ukraine va être énorme pour la Russie. »
« La guerre en Ukraine prend plus de temps que ne le pensait Poutine. »
« Poutine est sur quelque chose de beaucoup plus méthodique et progressif. Ça n’est plus le même type de guerre qui s’est engagé depuis quelques jours. »
« Poutine pensait qu’il n’y aurait pas beaucoup de résistance. »
« Poutine a probablement sous-estimé les problèmes de sa propre armée. L’armée russe ne marchait déjà pas très bien à la fin de l’URSS (…). L’armée russe s’est reconstruite par des réformes dans les années 2000. Aujourd’hui, c’est toujours une armée extrêmement corrompue. »
« Les Russes, Poutine et l’Etat-major ont été surpris des déficiences de l’armée, notamment sur le volet logistique. Ils sont en galère en termes de camions, de transport de troupes, de transport de carburant par exemple. »
« De l’extérieur, on se disait que la Russie était probablement capable de grandes opérations. Ce que l’on voit c’est que c’est une armée qui s’effondre sous son propre poids. C’est bien d’avoir une grande armée mais si elle n’est pas capable de réparer une route, ça peut bloquer votre colonne. »
Sur Poutine, la négociation et les menaces
« Poutine ne veut pas négocier. »
« Poutine pense qu’il peut encore gagner des avantages par la guerre avant d’arriver à un cessez le feu. »
« Si Poutine pense qu’il peut toujours gagner plus par la guerre que par la diplomatie, il continuera à faire la guerre. Et c’est ce qu’il fait. »
« On peut toujours rentrer dans un conflit nucléaire. C’est le principe d’avoir des armes nucléaires, c’est qu’on peut les utiliser un jour ».
« Cuba 62, c’était plus chaud je pense [rapport à la menace nucléaire]. »
« À quoi servirait d’utiliser l’arme nucléaire quand on est déjà plus fort sur le terrain ? Les Russes gagnent du terrain. »
« Faire une zone d’interdiction aérienne [en Ukraine] signifierait qu’on enverrait des avions de chasse de l’OTAN dégommer les avions de chasse de la Russie et les défenses anti-aériennes russes – y compris en territoire russe (…). Donc ça veut dire que vous attaquez concrètement le territoire de la Russie. Heureusement qu’on n’y pense pas sérieusement. »
Sur l’envoi d’armes de l’UE aux ukrainiens
« C’est pas la même chose d’envoyer un missile anti-chars aux ukrainiens et d’envoyer un militaire français ou polonais combattre un russe. Symboliquement, c’est différent. »
« Si un ressortissant français ou américain meurt par une attaque russe, on serait dans une autre configuration. Concrètement, là, on leur file juste du matos. Ça fait des années qu’on le fait. C’est du matos relativement bas de gamme. »
« Ça fait des années qu’on [l’UE, l’OTAN, les occidentaux…] a accepté que Vladimir Poutine pouvait faire ce qu’il voulait en Ukraine (…). Sinon on aurait fait entrer l’Ukraine dans l’OTAN ou dans l’Union européenne. »
« Il ne faut pas trop aller dans la rhétorique belliciste. »
Sur le bilan de la diplomatie française
« Macron a un truc bizarre avec Poutine : depuis le début, il s’attache à remettre du lien avec lui. »
« C’est bien de garder des lignes de communication ouvertes entre chefs d’Etat. Et c’est bien aussi entre militaires ce qui est le cas entre les chefs d’Etats majors des armées françaises et russes et c’est extrêmement important parce que c’est ce qui permet d’éviter les escalades dangereuses. »
« Ça serait compliqué de mettre Vladimir Poutine autour d’une table avec d’autres chefs d’Etats. Les rencontres bilatérales sont un mode de communication a minima. »
« L’échec de Barkhane et ce qu’il se passe en Ukraine fait qu’on va peut-être revoir nos stratégies et changer de modèle d’armée et changer de modèle de puissance, à commencer peut-être par essayer de regarder un peu moins loin et de vouloir résoudre tous les problèmes du monde. Peut-être qu’on va essayer de se recentrer un peu plus sur nos forces propres. »
Sur les budgets des armées et de la défense
« C’est très bien de ne pas avoir d’armée et de ne pas gaspiller d’argent dans les dépenses militaires – d’investir dans l’éducation, la santé, etc. – mais quand il y a quelqu’un qui veut faire la guerre, il faut quand même avoir une armée pour se défendre. »
« Pendant longtemps, les dépenses militaires ont toujours été la variable d’ajustement du budget français : ça a été les grands sports de Sarkozy et de Hollande. »
« L’armée ukrainienne est une armée qui s’est beaucoup modernisée mais qui n’est pas capable de défendre son territoire. »
« Le meilleur moyen d’avoir la paix c’est de dissuader les autres de faire la guerre. »
Est-ce que Poutine peut encore remplir ses objectifs en Ukraine ?
« On ne peut pas dire si Poutine a gagné la guerre ou pas parce qu’on ne peut pas dire quels étaient ses objectifs au départ. S’il voulait s’assurer que l’Ukraine ne tombe jamais dans l’OTAN et ne devienne vraiment jamais un pays du bloc occidental, on peut dire que ça semble plutôt être une réussite (…). Mais si l’objectif de Poutine, c’était de montrer dans la foulée de l’évacuation de Kaboul et de la fuite de l’Afghanistan des Américains, que ces derniers ne peuvent plus faire ce qu’ils veulent sur la scène mondiale, c’est assez réussi aussi. Mais ce que cela va lui coûter, ça, c’est autrement plus compliqué… »
Sur la hiérarchie entre les conflits
« La guerre au Yémen est une guerre qui fait beaucoup plus de morts que celle en Ukraine mais pas de la même façon. »
« La guerre ukrainienne a un grand pouvoir de fascination : c’est fou les images que l’on voit, on dirait des images de jeux vidéo ou de film. On voit un SU34 abattu par une défense anti-aérienne et tombé dans une ville avec des pilotes qui s’éjectent. »
« La guerre au Yémen est beaucoup moins spectaculaire, beaucoup plus lointaine, beaucoup plus complexe à comprendre. »