« Les gens sont dans un moment de révolte avant d’être dans un moment de révolution »
À rebours d’une idée reçue bien ancrée, Roger Sue a publié hier une tribune dans Le Monde où il affirme que « la France est un pays de gauche qui vote à droite ». Ainsi la France serait plus à gauche qu’on ne le pense, ne serait-ce que parce que les Français sont des démocrates, attachés à des valeurs. Le sociologue, auteur de Le spectre totalitaire aux éditions Les Liens qui Libèrent, est l’invité de #LaMidinale.
UNE MIDINALE À VOIR…
ET À LIRE…
Sur la gauche
« L’électorat est très volatil (…). Je ne me hasarderai pas à des pronostics. »
« Il me semble que depuis une vingtaine d’années, on assiste à une droitisation politique. »
« La gauche – et je n’ose pas dire la gauche – quand elle prend le pouvoir : c’est désastreux. Elle joue contre son camp et les Français ont la mémoire longue. Ça ne fait qu’accentuer une dérive droitière. »
« Comme sociologue, j’observe les mœurs et valeurs dans notre société et je vois bien le hiatus qu’il y a entre société civile et représentation politique. Il y a une crise de la représentation dans notre pays. »
« Les intellectuels ont leur part de responsabilité. »
« Les intellectuels ont leur responsabilité par rapport à ce que Gramsci appelait le pouvoir culturel. »
« Quand il s’agit de gérer un pays, la droite a les instruments. La gauche quant à elle, doit avoir un programme. Une hégémonie culturelle. Malheureusement, ça n’a pas été fait. »
« J’ai vu le Parti socialiste se rabougrir et s’éteindre. »
« À gauche, on a perdu l’idée qu’il y avait un sens à l’histoire. »
« Depuis le 19ème siècle, voire depuis Les Lumières, on avait un espéranto qui passait par le positivisme. »
« Aujourd’hui, la pensée intellectuelle est mise à distance parce qu’on sait qu’il n’y a pas de pierre philosophale. »
« Les partis politiques, ne serait-ce que parce qu’ils n’ont pas discuté beaucoup avec les intellectuels, ont encore beaucoup plus de responsabilités. »
« Il y a eu une grande déception par rapport au quinquennat de François Hollande dont il faut se relever. Il faut se relever mais on n’a pas beaucoup travaillé pour cela. »
« Il y a un effort à refaire le logiciel de la gauche. »
« Je veux insister sur l’immobilisme des institutions politiques : il faut voir à quel niveau de déshérences sont arrivées les institutions. »
« Les gens sont d’abord dans un moment de révolte avant d’être dans un moment de révolution. On est dans l’exaspération et elle s’est traduite dans le mouvement des gilets jaunes. »
Sur la droitisation de l’espace public
« Les gens ne trouvant pas matière à croire dans le credo républicain se replient sur des questions identitaires. »
« Le premier parti en France n’est pas l’extrême droite mais l’abstention : il y a refus de vote et vote de refus. »
« Qu’est-ce qui reste comme armes au politique face à une société civile aussi effervescente ? Il lui reste les instruments régaliens. »
« Le politique n’ayant pas suffisamment été à l’écoute du renouveau social et culturel de la société, se trouve complètement dépourvu et il ne lui reste globalement que peu d’armes. »
« Pécresse ressort le kärcher : c’est dramatique. On nous refait de l’ultra-sarkozysme. Elle va faire la jonction, comme je le craignais depuis longtemps, entre la droite, la droite extrême et l’extrême droite. »
Sur la citoyenneté
« On crie au feu sur la République et on n’a pas encore complètement tort. »
« Après de nombreuses lois « sécurité et liberté », on prépare une loi sur les principes républicains. C’est une loi sur le contrat républicain qui impacte les associations qui sont le creuset de la société civile et de la citoyenneté. C’est une loi répressive. Il n’y a rien de positif dans cette loi. Ça fait l’affaire du régalien. »
« On revient presque à un régime d’autorisation préalable. »
« La pandémie en a rajouté une couche au tout sécuritaire. »
« Il y a une dérive droitière par absence de réponse à une mutation qui est assez profonde et qui pose des problèmes à tous les niveaux de l’institution. »
« Macron s’est emparé du jeu politique : il n’y a pas plus politicien et plus enclin au jeu tactique. Ça va le conduire à une campagne qui sera une campagne de radicalité. »
« Macron est le jouet de tout un système qui dérive vers des formes d’extrémisation. »
« La société civile est fatiguée mais elle est révoltée. »
« Ce qu’il faut sauver, c’est la question de la citoyenneté. »
« Le lien entre la société civile et la politique, c’est la citoyenneté. Les gens doivent se sentir acteur de la République. »
« La question de la citoyenneté et de l’intégration citoyenne ne se fait plus de la même manière. »
« Il est urgent de reprendre la citoyenneté, ne serait-ce que pour apaiser la société civile : retrouver le sens citoyen. »
Sur le spectre totalitaire
« Si j’ai écrit le spectre totalitaire, c’est d’une certaine façon, pour y échapper. »
« Je crains que les problèmes de fond et de lien entre la transformation socio-économique, la prise de conscience de la société civile, la programmation d’une alternative et le jeu politicien qui consiste à conserver le pouvoir quoi qu’il en coûte – y compris au prix de l’extrême droite voire au prix de politiques d’extrême droite. D’une certaine façon, on n’en est pas très loin. »
« Je crains, avec une telle montée de l’extrême droite, qu’à un moment, il y ait une forme d’affrontement. »
« S’il y a des formes d’affrontements, on va entrer dans le cycle protestation/répression. Et je crains cela. »