Retraites, « Les mesures en direction des femmes sont très marginales »

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Revêtue de sa double casquette de porte-parole du gouvernement et de ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem écume les rédactions répétant à l’envi que pour la première fois, une réforme sur les retraites « met la question de l’égalité hommes-femmes au cœur de ses objectifs ». Qu’en est-il vraiment ? Entretien avec Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’ATTAC et de la fondation Copernic.

Regards.fr. La ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, communique dans les médias sur la réforme des retraites en affirmant qu’elle fait la part belle aux femmes en réduisant les inégalités. Qu’en pensez-vous ?

Christiane Marty. C’est une communication en trompe l’oeil. La mesure principale de cette réforme est un nouvel allongement de la durée de cotisation. Pour la génération née en 1973, 43 ans de cotisation ! Cela s’inscrit dans la logique des réformes précédentes et pénalise plus fortement les carrières courtes, donc les femmes. En juillet dernier, la Commission européenne a publié un rapport sur les inégalités de pension entre les femmes et les homes, indiquant que l’allongement de la durée de cotisation aura un effet disproportionné sur les femmes et qu’il baissera le niveau de leur pension. Résultat, de nombreuses femmes attendent l’âge du taux plein pour ne pas subir cette fameuse décote et partent en moyenne à la retraite plus tard que les hommes.

Les emplois à temps partiel sont majoritairement occupés par des femmes. La mesure permettant de cotiser 150 heures au lieu de 200 pour valider un trimestre ne compense-t-elle pas cet allongement de la durée de cotisation très préjudiciable aux femmes ?

Le temps partiel pénalise la durée de cotisation et le montant de la pension. Jusqu’à présent, 200 h payées au SMIC, soit 15 heures par semaine, permettaient de valider un trimestre. Les personnes qui travaillaient moins de 15 heures hebdomadaires au SMIC sur une année ne réussissaient pas à valider quatre trimestres. C’est une mesure bienvenue mais qui reste très marginale, puisque selon les données de l’INSEE sur les temps partiels courts, elle ne concernera au maximum que 2,6% des salariés.
Le problème essentiel pour les gens qui travaillent à temps partiel, c’est le niveau du salaire pris en compte pour le montant de la pension. Le temps partiel est souvent imposé par l’employeur parce qu’il est bénéfique pour lui. Par exemple, dans les supermarchés les employeurs font venir les caissières aux heures de pointes et ne les paient que sur ces heures. Ils reportent sur les salariées le risque de fluctuation de l’activité et c’est tout bénéfice pour eux. Idem pour les salariées des entreprises de nettoyage. Il serait juste et légitime que sur ces emplois la cotisation patronale soit supérieure, sur la base d’un temps plein par exemple.

Quid de la mesure qui prévoit la prise en compte de l’ensemble du congé maternité pour les départs anticipés au titre des carrières longues ?

Là encore, c’est une mesure qui va concerner très peu de personnes. Qui plus est, elle corrige une disposition tout à fait injuste prise par ce même gouvernement en 2012 ! Durant sa campagne, François Hollande avait promis de restaurer la retraite a 60 ans pour les gens qui avaient travaillé très longtemps, c’est-à-dire qui avaient commencé à travailler très jeunes. Mais après un rapide calcul, le gouvernement s’est aperçu que ce dispositif risquait de coûter très cher, il a donc mis en place des critères très restrictifs. Ce décret prévoyait que tous ceux qui avaient la durée de cotisation nécessaire à 60 ans pouvaient partir à la retraite. Mais ne comptaient que les trimestres cotisés et seulement six trimestres assimilés, c’est-à-dire les arrêts maladies, les accidents du travail et les congés maternité. Soit un an et demi au maximum pour toutes ces périodes d’interruption cumulées dans une carrière. Aujourd’hui, la totalité des congés maternité seront pris en compte, mais non les congés parentaux par exemple. Très peu de femmes sont éligibles à ce dispositif qui, depuis le début, concerne surtout les homes (à 80%). Ce n’est pas cette mesure qui changera les choses.

Autre mesure, la majoration de 10% de la pension pour les pères et les mères qui ont élevé 3 enfants et plus…

Comme les hommes ont des pensions plus élevées que les femmes, cette majoration bénéficie surtout aux hommes (à 70%), alors que ce sont majoritairement les femmes qui sont pénalisées dans leur carrière par la prise en charge des enfants. En plus, elle est anti-redistributive : comme elle est proportionnelle au montant de la pension, ce sont les personnes qui ont les pensions les plus élevées qui ont les plus fortes majorations. Elle organise donc une redistribution à l’envers, des plus basses pensions vers les plus fortes pensions. On avait annoncé une refonte de cette majoration mais dans le projet de réforme, cette refonte est reportée en 2020. La seule modification appliquée dans l’immédiat est de soumettre cette majoration à l’impôt. Résultat, une baisse de revenu pour les retraités parents de trois enfants, y compris pour les mères des foyers modestes.

Selon vous, quelles seraient les solutions qui permettraient de corriger réellement les inégalités hommes-femmes dans les droits à la retraite ?

Améliorer les droits directs des femmes à une pension nécessite plusieurs choses. Évidemment, agir en amont de la retraite pour réduire les inégalités professionnelles, inciter les hommes à partager les tâches parentales et domestiques, créer des crèches pour permettre aux femmes de continuer à travailler à l’arrivée des enfants.
Il faut aussi agir au niveau de la retraite. Une des premières mesures serait de cesser tout allongement de la durée de cotisation et au contraire, l’objectif devrait être de converger vers une durée de carrière qui soit réalisable par l’ensemble des salariés. Actuellement, les moyennes de durées de carrière se rapprochent plus de 35 ans que de 40 ans. Allonger la durée de cotisation exigée signifie concrètement pour de très nombreuses personnes, une pension diminuée. Si on ne veut pas appauvrir les retraités, il faut revenir à une durée de carrière réalisable par tout le monde. Depuis la réforme Balladur, le calcul du salaire moyen servant de référence pour la pension prend en compte les 25 meilleures années, contre dix auparavant, ce qui a eu pour effet de baisser ce salaire moyen et donc le niveau de pension. Et cette baisse est d’autant plus importante que la carrière est courte. La pension des femmes a donc beaucoup pâti de cette mesure. Il serait juste de revenir aux dix meilleures années. Le mieux serait de privilégier un mode de calcul évitant la pénalisation des carrières courtes. Par exemple, prendre la moyenne des salaires sur le quart de carrière : sur une carrière de 40 ans, on prendrait comme référence les 10 meilleures années ; sur une carrière de 20 ans, les cinq meilleures années. Ce serait un calcul plus juste qui ne pénaliserait pas les carrières courtes.

En somme, l’amélioration des droits à la retraite des femmes suppose un engagement financier du gouvernement…

Oui. On ne voit pas comment il serait possible de réduire les inégalités de pension entre les femmes et les hommes sans que cela ait un coût, puisque l’idée n’est pas de baisser les pensions des hommes mais d’améliorer celles des femmes ! Aucune réforme progressiste n’est possible si elle est guidée, comme actuellement, par un objectif d’économies. Ce qui est extraordinaire lorsqu’on regarde le tableau de financement de la réforme, fourni par le premier ministre, c’est que le cumul des mesures annoncées en direction des femmes, des jeunes, des carrières heurtées et des petites pensions a un coût qui reste nul jusqu’en 2030 ! Des mesures qui ne coûtent rien, ça a quand même un caractère suspect, surtout quand on entend dire que la réforme fait la part belle aux femmes ! Cela témoigne bien que ce sont des mesures très marginales.

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