À l’automne 2015, Regards consacrait le dossier « BANLIEUES : CE QUE LES RÉVOLTES ONT CHANGÉ » à sa revue, 10 ans après les « émeutes ». En 2023, après le meurtre du jeune Nahel, la France semble rejouer inlassablement la même tragédie. Voilà pourquoi nous désarchivons, cet été, tous les articles de ce dossier brûlant d’actualité.
Il y a plus de dix ans, depuis la place Beauvau, Nicolas Sarkozy systématisait la poursuite en justice des groupes de rap ciblés. Une censure obstinée qui coïncidera avec leur progressif effacement de la scène publique. Retour sur un étouffement culturel et politique.
Avril 2002. La Rumeur sort son premier album, L’ombre sur la mesure. En parallèle, dans un article intitulé “Insécurité sous la plume d’un barbare”, le rappeur Hamé dénonce les « humiliations policières » dont sont victimes les jeunes de banlieue. Quelques semaines plus tard, Nicolas Sarkozy est nommé au ministère de l’Intérieur. Il portera plainte pour « diffamation envers la police nationale ». Après cinq procès, Hamé sera finalement acquitté en juin 2010. « Tout ça pour ça, lâche le rappeur. Huit ans de procédure pour me dire que j’avais le droit d’écrire ce que j’ai écrit. »
« PROVOCATIONS À LA DÉSOBÉISSANCE »
Novembre 2003. Alerté par le député Jacques Myard, Sarkozy se vante à l’Assemblée de « déposer plainte contre ces textes racistes et antisémites » du groupe Sniper. En vérité, le ministre portera plainte pour « incitation à blesser et tuer les fonctionnaires de police et représentants de l’État ». La chanson visée est la suivante : La France, hymne d’une génération épuisée par les conditions de vie auxquelles le pays la soumet. Ce n’est pas tant la plainte qui affectera le plus le groupe, mais le climat qui l’entoure, proche d’une campagne de calomnie.
Durant ses années à l’Intérieur, Sarkozy aura impulsé une répression quasi systématique contre le rap contestataire. À l’Élysée, il persiste. Sous son mandat de président, on voit se multiplier les questions au gouvernement et les propositions de loi toutes plus caricaturales les unes que les autres contre ces artistes. La Rumeur et Sniper ne sont que deux groupes visés parmi les plus marquants et les plus populaires. Après 2012, la relève socialiste est assurée. En 2013, interpellé par la sénatrice Nathalie Goulet au sujet de « l’abus de la liberté d’expression » de plusieurs groupes de rap, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls lui rappelle sa « volonté de lutter contre la délinquance », parlant même de « provocations à la désobéissance », un terme qui n’existe que dans le code de justice militaire, applicable uniquement « en temps de guerre » !
DE L’ENGAGEMENT AU REPLI IDENTITAIRE
À force de répression, l’État et ses ministres de l’Intérieur ont eu raison du rap engagé. Longtemps considéré comme un genre inférieur, cette musique qui dénonçait les conditions de vie des habitants des banlieues, cette prose qui n’hésitait pas à pointer du doigt la violence policière, ces rares porte-voix de la jeunesse se sont vus traiter comme des attardés acculturés et accuser de racisme, d’antisémitisme, et même d’apologie du djihad ! Alors ces “rappeurs conscients” se sont tus, volontairement ou non, et les grandes radios et maisons de disques leur ont tourné le dos. Leurs appels à l’aide sont restés lettre morte.
En contribuant à étouffer ses revendications de nature sociale et politique, l’État aura favorisé un rap faisant l’éloge de l’argent et de la domination masculine, à l’abri de tout ennui judiciaire, ou replié derrière une ligne identitaire et religieuse. Le rappeur le plus influent du moment, Youssoupha, a sorti cette année un album intitulé Négritude… On est loin des années 2000, quand s’affirmait encore l’expression d’une identité commune, celle du Français fils d’immigrés (ou non) qui sommait le pays de se mettre en conformité avec des valeurs théoriques auxquelles lui-même n’avait pas fini de croire.
Le rap n’est pas ma tasse de thé : musicalement pas top…les textes peuvent être intéressants ou carrément stupides voire racistes ou antisémites. Au prétexte de soutenir de façon systématique les productions et créations émanant de pseudo artistes issus des banlieues, Regards pourrait se fourvoyer idéologiquement. Abonné canal historique de Regards, je regrette toujours les chroniques d’Evelyne Pieiller, qui nous a fait découvrir de vrais talents. il en existe encore, heureusement, j’attends de mon magazine qu’il sache nous les faire découvrir dans ses pages culturelles. Je pense à Pomme, Élodie Frégé, Florent Marchet, Cyril Mokaiesh et beaucoup d’autres qui disent des choses fortes avec talent et de vraies mélodies. Merci.
Publié quelques jours avant l’affaire Médine. Prémonitoire ?