Les États-Unis déclarent la bataille culturelle mondiale
La newsletter du 8 décembre 📨
par Catherine Tricot
Le gouvernement Trump formalise un agenda offensif mêlant nationalisme économique et combat idéologique. Une stratégie qui trouve une Union européenne désarmée, incapable de penser son autonomie et encore moins de résister.
Vendredi 5 décembre, le gouvernement américain a publié un document exposant sa stratégie de défense nationale pour le nouveau mandat. Ce texte, compact, de 33 pages, s’ouvre par un court message de Donald Trump à ses concitoyens. Mais c’est tout le document qui se veut politique. À huit reprises, l’action est justifiée au nom de la défense des « travailleurs » américains, terme devenu rare dans les documents diplomatiques.
La concision est rendue possible par sa forte cohérence. Il faut dépasser les risibles flagorneries vis-à-vis du président américain. Il y a lieu de voir la profondeur de ce document. Tout n’est pas nouveau, mais tout est redisposé, mis à jour. Les mots sont crus : « Les stratégies américaines depuis la fin de la guerre froide […] ont énoncé de vagues platitudes plutôt que de définir clairement ce que nous voulons ». La charpente politique est affirmée par Donald Trump : « Dans tout ce que nous faisons, l’Amérique reste notre priorité » ; « L’unité politique fondamentale du monde est et restera l’État-nation ». Et à ce titre, « nous nous opposons aux incursions des organisations transnationales les plus intrusives qui sapent la souveraineté ». Il ne s’agit pas pour autant de revenir à l’isolationnisme : l’interventionnisme est envisagé au nom des intérêts américains mais il doit relever de « critères élevés ». La doctrine Monroe qui pose l’Amérique latine comme le champ naturel de l’influence états-uniennes est affirmée et étendue aux « chaînes d’approvisionnement essentielles » : « Nous voulons garantir notre accès continu à des emplacements stratégiques clés ». C’est clair ?
Les bases de la puissance sont affirmées et vouées à être retrouvées et étendues : frontière nationale, puissance militaire et industrielle, indépendance énergétique, innovation et nouvelle technologie, monnaie internationale avec le dollar. Des objectifs purement idéologiques complètent ces bases matérielles : le « soft power » est une arme. « Le courage, la volonté et le patriotisme du peuple américain » sont érigés en socle de puissance. La promotion de « la famille traditionnelle » et le combat contre le wokisme sont considérés comme des enjeux stratégiques.
Mais le cœur de la puissance reste la force économique. Les moyens de l’État sont mis à la disposition des entreprises nationales partout où elles sont présentes.
Ce document est une feuille de route pour l’action des États-Unis dans le monde. Concernant les relations avec l’Europe, l’interventionnisme est explicitement sur le terrain politique : « Les États-Unis encouragent leurs alliés politiques en Europe à promouvoir ce renouveau spirituel, et l’influence croissante des partis patriotiques européens est en effet source d’optimisme. Notre objectif devrait être d’aider l’Europe à corriger sa trajectoire actuelle » ; « Ce déclin économique est éclipsé par la perspective réelle et plus sombre d’un effacement civilisationnel. Parmi les problèmes les plus importants […], les politiques migratoires qui transforment le continent et créent des conflits. »
Après le discours stupéfiants de J. D. Vance à Munich en février, quelques jours après l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, les États-Unis formalisent donc dans un document officiel leur engagement dans une bataille politique et culturelle à l’échelle mondiale dont l’Europe sera une des premières cibles.
La réaction infantile de Kaja Kallas, vice-présidente de l’Union européenne chargée des relations internationales, est inquiétante. Comme les enfants qui cachent leur visage quand ils ont peur, elle déclare que les États-Unis restent « le plus grand allié de l’UE ». Elle est dans la veine de la présidente de la commission acceptant sans condition toutes les exigences économiques de Donald Trump. Après avoir appliqué avec un dogmatisme fou l’idéologie néolibérale, après avoir réduit le projet européen à un grand marché – et seulement à cela –, après avoir lâché les ambitions sociales, écologiques, démocratiques et de respect du droit international, la commission constate la montée des extrêmes droites. Elle ne réfléchit pas, ne renonce pas, n’affronte pas ; elle compose.
Dans ces circonstances, empêcher la victoire de l’extrême droite en France devient un enjeu non seulement pour notre pays, mais pour notre continent et pour la démocratie. La bataille sera rude. On le savait déjà. Elle devra aussi faire face à la puissante Amérique. What else ?
🔴 ALEA JACTA EST DU JOUR
Faure demande aux députés PS de voter le budget de la Sécu de Lecornu

Le secrétaire national du PS peut bien faire valoir que les socialistes ont obtenu de vraies avancées dans la négociation du budget de la Sécu : c’est vrai, ils ont arraché des reculs au gouvernement, empêché des mesures antisociales, édulcoré un texte franchement orienté à droite. Mais c’est justement là que le bât blesse : ce « succès » n’est rien d’autre que la version la moins dure d’un budget austéritaire, dont ils entérinent l’architecture sans jamais la contester. Ils ont gagné des batailles et les présentent comme une victoire au nom de la responsabilité. Catastrophique car cela revient à valider l’essentiel : la compression de la dépense sociale. Peut-être que cette posture qui consiste à s’applaudir d’avoir adouci la droite plutôt que de l’affronter dit quelque chose de leur maintien profond dans une pensée sociale libérale qui les a conduit au bord du néant. 1,75%, don’t forget.
P.P.-V.
ON VOUS RECOMMANDE…

« Le règne animal » de Thomas Cailley sur France Télévisions. Un film sorti en 2023 qui met l’empathie au centre, en montrant comment le pouvoir fabrique des monstres pour mieux les pourchasser. À travers une fable politique, il révèle la facilité avec laquelle notre société déshumanise celles et ceux qui s’éloignent de la norme. On en ressort avec une certitude : comprendre l’autre n’a de limites que celles que l’ordre social tente de nous imposer.
C’EST CADEAU 🎁🎁🎁
ÇA SE PASSE SUR REGARDS.FR
Pour recevoir cette newsletter quotidiennement (et gratuitement) dans votre boîte mail, suivez le lien : regards.fr/newsletter !