« Achetez, achetez ! Il est beau mon drone. Et pas cher ! »

La lettre du 3 octobre 📨
par Catherine Tricot
L’entrée massive des drones dans l’arsenal de guerre change la donne. Les militaires ne sont plus les seuls à détenir et manier des armes. Cette « démocratisation de la guerre » conduit au pire et doit être prise avec sérieux. La vie n’est pas un jeu vidéo.
En moins de trois ans, les drones sont devenus la principale arme de guerre en Ukraine. Désormais, 80% des personnes tuées le sont par drones. Marginaux au début de la guerre, ces engins téléguidés à distance, le plus souvent dans le ciel mais aussi au sol et sous l’eau, ont été initialement mis au point et utilisés par des Ukrainiens de l’arrière. Ils ont su transformer des drones civils made in China en armes de guerre. Leur succès tient en premier lieu à leur coût : entre 300 et 600 euros, quand un obus coûte plusieurs milliers d’euros. Sur catalogue, livrés par Amazon, ils sont largement accessibles.
Leur proximité avec nos vies a facilité leur entrée dans le quotidien de la guerre. Ainsi, nul besoin de longue formation militaire : les gamers ont acquis des facilités pour les piloter dans les innombrables jeux vidéos qui les simulent. Poussant loin le parallèle, l’armée ukrainienne attribue des points par types d’objectifs atteints pour mesurer et stimuler ses militaires. Le Monde rapporte la grille : 7 points pour blesser un soldat russe, 10 points si on le tue, 20 si on touche un char, 40 si on le détruit. Le drone a aussi le double intérêt de pouvoir attaquer et filmer. On peut facilement afficher ses « succès » sur les réseaux sociaux : le cruel et le morbide en direct, sans filtre. L’entrée massive des drones dans les conflits – comme armes d’attaque et de menace – efface toujours plus les frontières entre guerre conventionnelle et guerre terroristes, conflits civils. Les drones rendent irréelle la guerre et la font entrer dans le quotidien.
Hors conflit ukrainien, le rythme des survols par drones s’accélère : au-dessus de la Pologne, du Danemark, de la Roumanie, de la Norvège, de la Belgique. En Allemagne, le trafic aérien a été suspendu à Munich. Ce survol s’ajoute à ceux des sites militaires, centrales énergétiques, chantiers navals, parlements régionaux. On connaît rarement de manière certaine leurs origines, on subodore qu’une bonne partie d’entre eux sont envoyés par les Russes pour tester les Européens. La menace de guerre enfle.
Au sommet de la communauté politique européenne (CPE), qui rassemble la quasi-totalité des pays européens (à l’exception de la Russie et de la Biélorussie), Volodymyr Zelensky a exhorté les Européens à se doter d’un « mur anti-drones efficace pour protéger toute l’Europe ». Outre le caractère irréel – autant que la « guerre des étoiles » de Ronald Reagan qui prétendait déployer un bouclier anti-nucléaire au-dessus des États-Unis ou le « dôme de fer » au-dessus d’Israël –, cette approche est délétère. Elle ne peut que structurer le conflit avec la Russie qui se sent menacée. Mais surtout, elle prend la question à l’envers.
Israël, en tant que pays et en tant que société, est en train de sombrer pour avoir conduit la guerre totale contre les Palestiniens. Il faut manquer de perspective historique, comme, hélas, le président Macron le révèle trop souvent, pour croire comme lui que la sortie de guerre est dans davantage d’armée et dans la généralisation de l’esprit belliqueux. Tout à sa passion de se montrer en chef de guerre, il vient de déclarer à la réunion de la CPE à Copenhague : « Dans les prochains jours, nos chefs d’état-major, en coordination avec l’OTAN, et dans le cadre de la ‘coalition des volontaires’ se réuniront pour bâtir des actions communes dans les prochaines semaines ».
L’histoire ne dit pas tout mais elle permet de penser. La fin du premier conflit mondial, guerrier et vengeur, a nourri la montée du fascisme. La fin de la seconde guerre mondiale, en alliant désarmement des puissances fascistes, promotion du droit international et des droits humains avec le progrès social, a permis de surmonter l’horreur qui aurait pu nous effondrer. L’esprit de paix doit revenir avec celui de la démocratie.
🔴 ÉLECTIONS DU JOUR (suite et fin)
À l’Assemblée, le « socle commun » sauvé par le RN

Hier, nous vous parlions des postes de la commission des finances. Finalement, l’insoumis Éric Coquerel en reste le président – ce rôle est traditionnellement dû à l’opposition – mais le poste de rapporteur général du budget quitte les mains du centriste Charles de Courson pour revenir au LR Philippe Juvin. Concernant les sept autres commissions du Palais-Bourbon, le « socle commun » récupère toutes les présidences, raflant les affaires économiques et les affaires culturelles à la gauche. Il n’y a pas de secret : pour obtenir ce que Le Monde qualifie de « raz-de-marée », la droite (Macronie + LR) a dû aller chercher l’appui de l’extrême droite. Partout, le RN a choisi de ne pas présenter de candidat et de voter pour celui de la majorité présidentielle. Certainement une façon élégante de dire « merci » pour les deux postes de vice-présidents de l’Assemblée obtenus le 1er octobre. Et Sébastien Lecornu de prier pour que l’extrême droite ne le censure pas à la première occasion… Lundi, nous écrivions dans notre newsletter que « les premiers ministres se succèdent et rejouent la même scène : tendre la main au RN ». Bis repetita. Ad nauseam.
L.L.C.
ON VOUS RECOMMANDE…

« Tsahal, l’armée israélienne à l’épreuve », sur Arte. Une plongée à l’intérieur de l’armée israélienne, racontée par des jeunes soldats. Ou comment Israël est passé de l’espérance, lors de la création d’une armée pour protéger un nouvel État, à la souffrance actuelle.
C’EST CADEAU 🎁🎁🎁
Kwame Ture, figure des Black Panthers, explique, en 1968 alors que la guerre fait rage au Vietnam, la différence entre la paix et la libération.
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