Sarkozy condamné : l’État de droit tient le coup

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Quels seront les effets de la condamnation de Nicolas Sarkozy sur le débat public et sur l’idée que nous nous faisons de notre pays et de sa démocratie ? Attendu depuis 15 ans, ce procès, quand il sera achevé après l’appel, produira des effets sur la durée.

À J+1, on peut déjà retenir que les informations qui ont conduit au jugement d’hier ont été révélées par Mediapart, un journal indépendant. Il y a motif à se réjouir de la possibilité de l’existence de ce journal dans notre pays. Ce que Mediapart a fait était donc faisable par eux (ou par d’autres qui ne l’ont pas fait, faute de moyens ou de volonté). La presse peut jouer son rôle d’enquête, d’information, d’alerte des citoyens. Que la leçon, une fois encore, soit retenue. La pluralité, l’indépendance de la presse et des médias est un pilier fragile, attaqué mais indispensable à la démocratie et à chacun de nous. Il faut la défendre.


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Mais il y a aussi motifs à de lourds questionnements. Pourquoi les institutions n’ont pas décelé et enquêté plus tôt sur les dysfonctionnements nombreux produits par ce pacte de corruption ? Dans cette affaire s’entremêlent surfinancement de campagne et donc altération de la régularité du scrutin présidentiel ; liens inconcevables avec le régime de Mouammar Kadhafi, jusqu’à envisager de lui transférer les technologies du nucléaire ; sauf-conduit pour un terroriste coupable d’attentats contre des avions de lignes qui ont tué des dizaines de passagers ; assassinat du président Khadafi et guerre contre un État et sa population qui continuent de souffrir de cette déstabilisation, la Lybie. Tous ces indices d’une gravité extrême étaient là, décelables.

On se souvient de la solitude de la secrétaire d’État aux droits de l’homme auprès de Bernard Kouchner, Rama Yade, qui seule a dit non au tapis rouge déroulé pour Mouammar Kadhafi. Elle a dû en subir des pressions pour se taire. D’ailleurs, elle a quitté la France. L’enjeu devait être de taille pour que l’on s’abaisse à cela. Plus tard, la légende selon laquelle on a fait la guerre à la Libye parce qu’un philosophe à la chemise immaculée et épris de droits humains a convaincu le président Sarkozy d’intervenir ne tient pas une seconde. BHL fut « l’idiot utile » d’une histoire qui le dépassait. Cette intervention était politiquement illégitime et elle entache toujours notre pays. Cette guerre aussi devra bien, un jour, être éclairée.

L’autre enjeu de ce procès est celui du financement des campagnes électorales. La France ne peut devenir un pays où la présidence du pays s’achète, a fortiori avec le concours de puissances étrangères. Comme souvent dans les affaires de corruption, on n’a pas retrouvé la preuve ultime, le lettre où sont transcrits les termes du deal. En revanche, il y a bien des certitudes sur les sorties d’argent – 50 millions d’euros –, sur la concordance de flux, sur l’existence de ramifications. De fait, l’ensemble des co-accusés de Nicolas Sarkozy ont été condamnés, lourdement. L’argument selon lequel Nicolas Sarkozy aurait pu bénéficier de ces flux sans le savoir a formellement tenu : président à l’insu de son plein gré, en quelque sorte. Rappelons que Nicolas Sarkozy a été condamné de façon définitive dans l’affaire Bygmalion : il lui était reproché un dépassement de 25 millions des dépenses autorisées (seuls 20 millions sont légaux). Lors du procès Bygmalion, Nicolas Sarkozy argumentait avoir reproduit en 2012 les dispositifs de 2007 ! C’est exact : en 2007, il dépassait déjà, et de très loin, les plafonds. Cette triche devant le suffrage universel est délétère. On se réconfortera en constatant les flots d’argents, d’écrans géants et de kermesses ne suffisent pas à gagner… Néanmoins cet enjeu d’égalité et d’accès au financement reste une condition de la démocratie. On voit les ravages aux États-Unis où il n’y a aucune limite pour le financement privé. Davantage de contrôle, une limitation des moyens et des méthodes de campagne, un financement public sont les conditions du maintien de la démocratie.

Enfin, depuis hier, la droite et l’extrême droite s’associent pour mettre en cause la justice. Leurs discours la décrivent impartiale, de gauche. C’est une accusation gravissime contre une institution majeure et qui ne peut être portée sans fondement. Leurs preuves ? L’influence du Syndicat de la magistrature (1/3 des suffrages environ) et l’existence d’un « mur des cons » révélés en 2013. Cela ne suffira pas à convaincre. En vérité, pratiquement tous les partis ont des jugements pendants (RN, Modem, LFI, PCF, sans compter les 20 ministres et anciens ministres des mandats Macron…). La récente création du PNF (parquet national financier) donne à la justice les moyens de son action. Le fait que les jugements soient argumentés, rendus collégialement et qu’un second procès soit possible assurent les citoyens d’une justice respectueuse de leurs droits individuels et les prémunit d’une justice discrétionnaire. Et c’est la justice qui, comme l’écrit la présidente d’Anticor, « a réussi à faire rendre des comptes à l’État sur sa pratique du pouvoir ». Pour cela aussi, la séparation des pouvoirs est un pilier qui doit être respecté. Cela ne signifie pas que la justice ne puisse être critiquée, améliorée. De fait, le sentiment de sa sévérité à l’égard des humbles et de sa mansuétude à l’égard des puissants est souvent fondé.

Marine Le Pen se porte en avocate du droit au double procès, à la présomption d’innocence, contestant l’exécution immédiate des peines avant épuisement des recours. Pourtant, elle ne s’émeut guère du sort des 22 000 personnes emprisonnées bien qu’en attente de leur condamnation définitive – plus du quart des prisonniers. Elle a repris son bâton de pèlerin hier au risque d’amalgamer sa propre peine à celle de Nicolas Sarkozy, condamné pour des faits incommensurablement plus graves. Pourquoi le fait-elle ? Non par erreur mais parce qu’ici comme ailleurs, la mise en cause de la justice est devenue un des axes des droites radicalisées. Elles s’associent pour déstabiliser l’État de droit. L’ancien président Sarkozy y contribue, par ses actes, son comportement, ses déclarations. Après les États-Unis, c’est la grande bataille qui arrive en France.

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