Mettre les rancunes à la rivière

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La lettre du 27 août 📨

par Catherine Tricot

Mettre les rancunes à la rivière. D’où vient cette formule qui m’a toujours plu ? Elle est souvent employée par Jean-Luc Mélenchon – peut-être en est-il l’auteur… En ces jours très incertains, un souffle de bienveillance au sein de la gauche serait bienvenu.

L’affaire est entendue : François Bayrou et son gouvernement vont tomber le lundi 8 septembre au terme d’un vote de défiance des députés, probablement très massif. Ensuite, le plus probable est qu’il y aura une dissolution de l’Assemblée nationale. Pourquoi ?

D’abord parce que c’est légalement possible depuis le mois de juillet et, surtout, parce qu’il n’y a plus de socle commun. Il suffisait d’écouter Gabriel Attal, le chef des macronistes, s’exprimer ce matin sur France Inter : le soutien était minimal et il a attendu deux jours avant que cela sorte de sa gorge. On attendra encore un peu avant que le chouchou des sondages à droite apporte son soutien au premier ministre à la dérive. Édouard Philippe n’est pas pressé de s’abîmer dans des causes perdues ni d’endosser un soutien à ce budget qui rassemble contre lui. Ne disait-il pas en juin « On a un pays où il ne se passe pas grand-chose, pas de grand projet, pas de grand souffle » ? Bruno Retailleau, un autre cador de la droite, reste mutique. Hier encore, il dressait un portrait apocalyptique de la situation de la France à l’occasion d’une prise de parole devant les policiers parisiens. Mais il ne dit pas que le salut passe par le maintien de Bayrou à Matignon – et lui à Beauvau. Le premier ministre et son gouvernement vont faire les frais de la compétition à droite pour la prochaine présidentielle. Tous ces candidats vont devoir méditer sur la force du rejet dans le pays de cette politique à la fois médiocre et injuste, qu’ils soutiennent, pratiquent, proposent. 

Dans ces conditions, les chances de réussite d’un nouveau premier ministre issu de ces rangs-ci est proche de zéro. Il ou elle tombera assurément en décembre – au plus tard lors du vote du budget. Par sa place dans la Macronie, François Bayrou était un peu la carte ultime après la déconfiture politique et morale de Michel Barnier. Emmanuel Macron pourrait démissionner et provoquer une élection présidentielle. Mais tout à son bonheur d’agir sur la scène internationale, il ne le fera pas. Et d’ailleurs c’est tant mieux : qui peut croire qu’une campagne présidentielle de 35 jours permettrait les débats politiques dont la France a été largement privée depuis 2017 par la grâce du président qui s’y est refusé en 2022 et qui a dissout par surprise en 2024 ? 

Reste donc une nouvelle dissolution. Beau travail.

Le danger d’une victoire du RN n’a pas faibli. On peut même redouter les effets amplificateurs de l’ouragan trumpiste. Le président américain et ses émissaires donnent du ventre à toutes les extrêmes droites européennes. Elles se sentent épaulées et encouragées à briser toutes les structures démocratiques. Son accession au pouvoir ne peut être vue comme une parenthèse avant la déconfiture de 2027. C’est le pari d’Emmanuel Macron : il a tort et, se faisant, met notre pays et ses habitants en grand danger.

La gauche doit donc raisonnablement anticiper cette dissolution qui peut advenir à tout instant. Et elle doit être une alternative solide. Ce n’est pas ici, à Regards, qu’on épiloguera sur le temps béni où la gauche était miraculeusement réconciliée. Nous ne l’avons jamais cru. Nous n’avons même jamais rêvé d’une grande formation la rassemblant toute entière, avec des candidatures uniques systématiquement, effaçant contradictions et désaccords, comme au temps d’Adam et Ève. La diversité de la gauche n’est pas un péché. En 2002, s’opposant à la fusion de toutes les droites dans une seule formation, l’UMP, un certain François Bayrou disait : « Si nous pensons tous la même chose, c’est que nous ne pensons plus rien ». En revanche, il est indéniable que c’est seulement dans son unité et la bonne gestion de ses accords et désaccords que la gauche peut ouvrir un chemin.

Qui peut croire que, sur le fond, la gauche est plus facturée aujourd’hui qu’il y a deux ans ? On se souvient que les députés du NFP ensemble étaient parvenus, il y a six mois, à faire adopter une sorte de contre budget à l’Assemblée… retoqué par la majorité de droite du sénat et par le gouvernement. 

À gauche, on comprend bien que, pour l’essentiel, la compétition présidentielle détermine les stratégies des partis. Qui peut admettre que cela mérite de lâcher en rase campagne nos espoirs et d’occulter nos peurs ? Qui peut croire que la gauche sera en meilleure posture avec une déroute aux législatives du fait de ses divisions ? Et que les insoumis réfléchissent. Combien perdront-ils de députés s’ils ont face à eux, dans chaque circonscription, une candidature de rassemblement de la gauche ? Revenir essoré à l’Assemblée ne vaudra pas légitimation de la course en solitaire qu’ils ont entrepris. Les communiste aussi devraient se ressaisir et cesser la stratégie de la chaise vide. Ce n’est vraiment plus de saison. Les socialistes ne sont pas en reste : ils disent sans argumenter que l’union n’est plus possible. Ha ! Mais pourquoi ? Ont-ils décidé de faire chemin arrière dans le trajet qui les écartaient du social-libéralisme hollandais ? Que les insoumis soient super-pénibles, qui peut le nier ? Mais ce n’est pas un fait nouveau.

Non, rien ne justifie que la gauche joue comme si elle avait l’éternité pour elle. Il est temps de mettre les rancunes à la rivière.

Catherine Tricot

🔴 SONDAGE DU JOUR

Les Français veulent une France plus fédérale

71% des Français seraient favorables « à ce que la France devienne fédérale et renforce considérablement le pouvoir et les moyens des régions ». C’est, du moins, le résultat d’un sondage Ifop paru fin août. L’institut note que « cette adhésion au modèle fédéral […] s’épanouit particulièrement dans les territoires à forte identité : 86% en Alsace, 82% en Alsace-Moselle, 78% en Bretagne et 76% en Corse. Elle témoigne d’une maturité nouvelle de l’opinion française face aux enjeux de subsidiarité et de gouvernance territoriale, rompant avec des siècles de tradition centralisatrice. » Surtout, ce sondage dit la déconsidération de l’Etat pour une majorité de Français. Mais il résonne aussi au moment où la France planche sur les statuts particuliers de la Corse et de la Nouvelle-Calédonie, intégrant dans l’arsenal conceptuel du droit constitutionnel français la notion de « communauté » – on vous conseille la lecture de Roger Martelli sur le cas corse. Les résultats du sondage sont sans appel : 68% des Français estiment que les collectivités locales n’ont pas assez de pouvoir par rapport à l’État ; 71% des citoyens sont favorables à ce que la France renforce considérablement le pouvoir des régions ; 73% des Français soutiennent la possibilité des Régions à adapter les lois nationales pour tenir compte des réalités locales ; 90% des Français considèrent que l’État central est trop déconnecté des réalités locales. À déliter la République et son essence, on récolte ce que l’on sème.

L.L.C.

ON VOUS RECOMMANDE…


« La Russie dans la guerre sans fin : comprendre le grand récit de Poutine », sur Le Grand continent. Au-delà des raccourcis sur « l’ingérence russe » dans les élections occidentales, cette longue analyse permet d’aller plus en profondeur dans la machine à censure et à propagande de Vladimir Poutine. Les médias, les réseaux sociaux, la culture… tous les moyens de communication et d’échange d’idées sont scrupuleusement et méthodiquement contrôlés par le régime moscovite. Terrifiant.

C’EST CADEAU 🎁🎁🎁

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