Budget inique, censure latente : bordel à tous les étages

La lettre du 17 juillet 📨
par Pablo Pillaud-Vivien
Les tactiques du pouvoir pour appliquer coûte que coûte leur idéologie pro-business et antisociale tournent au grotesque. Mais ils ont toujours les manettes…
Il y a les textes, les institutions, les procédures. Et puis il y a ce qu’on en fait. Ces jours-ci, c’est à une mise en scène de l’ordre institutionnel que se livre François Bayrou, premier ministre d’un exécutif sans majorité, en annonçant une proposition de budget 2026 qui n’a aucune chance d’être adoptée. Toute la gauche, du Parti socialiste à La France insoumise, en passant par les écologistes et les communistes, s’y oppose. L’extrême droite aussi. Même du coté du bloquecito (petit bloc en espagnol), les soutiens sont ténus. À l’Assemblée nationale, c’est une évidence arithmétique et politique : il n’existe aucune majorité pour voter ce budget.
Alors pourquoi l’annoncer ? Pourquoi jouer cette partition dont chacun connaît déjà la chute ? Ce n’est pas de la politique, celle qui consiste à partir du réel, à négocier, à faire société. C’est du crantage idéologique, pour reprendre un mot de conseiller en communication. Bayrou n’agit pas pour faire passer un budget, il agit pour fixer une ligne. Une ligne de fuite vers le pire. Le projet que Bayrou propose prépare le terrain à plus de régressions sociales, plus de cadeaux au capital, moins de services publics. C’est un jalon posé pour que celui ou celle qui lui succédera, qu’il ou elle soit de droite extrême, d’extrême droite ou de cette droite macroniste à visage managérial.
Et certains n’attendent même pas pour pousser plus loin encore. Ce matin même, la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a évoqué l’idée d’échanger la cinquième semaine de congés payés contre rémunération. Une provocation ? Une diversion ? Ou un signe que cette équipe gouvernementale ne fait même plus semblant d’avoir un horizon commun avec celles et ceux qu’elle est censée représenter ? À ce stade, difficile de dire s’il s’agit de détourner l’attention de la tempête institutionnelle à venir ou de donner libre cours à une vision du monde où tout se vend et tout s’achète, y compris les droits essentiels.
Derrière ce budget mort-né, une question se pose avec une acuité renouvelée : celle de la censure. Toutes les conditions sont réunies pour que le gouvernement tombe. Il suffit d’un vote et ce pourrait être plié. Mais pour quoi faire ? Pour aller où ? On entre ici dans la mécanique absurde de la Ve République, celle que Macron maîtrise comme un joueur de poker : un coup de bluff par ici, une dissolution par là, une recomposition sans fin comme stratégie de pouvoir.
Car même censuré, Macron pourrait renommer Bayrou. Ce ne serait pas inédit : De Gaulle avait reconduit Pompidou après une censure. Et ce ne serait surtout pas la première fois que Macron tournerait le dos à l’esprit des institutions pour en tordre la lettre. Il pourrait aussi nommer n’importe qui. Littéralement. Et continuer, coûte que coûte, à appliquer sa ligne pro-business. Ou bien il pourrait choisir la dissolution. Encore. Une nouvelle dissolution signifierait 40 jours de campagne express, en plein chaos politique. Ce calendrier n’a rien d’anodin : il empêche toute dynamique politique réelle, tout débat sérieux, tout ancrage populaire. Il écrase le temps démocratique sous la précipitation. En juillet dernier, déjà, Macron avait actionné la dissolution comme une grenade « dégoupillée dans les jambes » de la classe politique. Il croyait pouvoir y gagner en pouvoir et en hauteur de vue. Il n’a récolté que de l’instabilité et du discrédit. Mais ce mode opératoire semble l’obséder.
Il court l’idée diabolique un autre scénario qu’on voulait vous exposer pour l’expier : faire coïncider législatives anticipées et municipales en mars 2026. Deux élections radicalement différentes, l’une nationale, l’autre locale, imbriquées pour mieux brouiller les repères (les constitutionnalistes ne sont pas d’accord sur la possibilité d’un tel projet… ce qui signifie qu’il est possible). Ce serait un coup de force politique majeur. Car au moment où la gauche cherche à se recomposer, comment tenir une ligne unitaire au niveau national tout en se divisant localement ? C’est la confusion garantie. Le calcul est cynique mais limpide : profiter de la confusion pour laisser le champ libre à l’extrême droite. Lui céder Matignon pour un an, tester le choc, habituer l’opinion à l’inacceptable. En juillet 2024 déjà, nombreux étaient ceux qui soupçonnaient Macron d’avoir préparé l’accession du RN à Matignon comme on jette un os à ronger à la bête. Entre 2026 et 2027, le RN se sera ancré, institutionnalisé davantage. Prêt pour 5 ans… au terme duquel Macron se voit déjà faire un retour en sauveur du pays. Stratégie du pire.
Tout cela nous dit une chose. Dans ces institutions, la démocratie peut être une variable d’ajustement et les institutions, un décor. Le calendrier électoral devient une manette. Les coalitions possibles ? Un alibi pour gouverner sans mandat clair. Et la gauche, dans tout ça, doit se préparer. Non seulement à censurer ce budget indéfendable mais à affronter ce qui pourrait suivre : la dissolution, la confusion et peut-être même la tentation macroniste d’un pacte faustien avec l’extrême droite. À ceux qui sont tentés de précipiter le pays dans une crise institutionnelle permanente, il faudra opposer davantage que de la résistance : une volonté politique cohérente, lisible, enracinée. La démocratie ne meurt pas toujours d’un coup, de face ou dans le dos. Elle peut s’étioler, pièce par pièce. À nous de ne pas les laisser faire.
Pablo Pillaud-Vivien
🔴 BONNE NOUVELLE DU JOUR
Georges Ibrahim Abdallah libéré

Il aura fallu 40 ans, 5 présidents, 20 Premiers ministres, 16 ministres de la Justice et probablement autant de notes blanches des services de renseignement, pour que la France accepte enfin de libérer Georges Ibrahim Abdallah. L’annonce est tombée aujourd’hui : le plus vieux prisonnier politique d’Europe quittera la prison de Lannemezan le 25 juillet prochain pour être expulsé au Liban (l’une des conditions de sa libération). Certains y verront une victoire du droit. D’autres, simplement, le fait que la raison d’État a fini par bâiller d’ennui. Condamné à perpétuité en 1987 pour complicité d’assassinats contre des diplomates américains et israéliens, le militant communiste avait pourtant été libérable dès 1999. Mais la France, d’ordinaire si prompte à donner des leçons de droits humains à la terre entière, s’était sagement alignée sur les désirs de Washington et Tel-Aviv. Quarante années de détention pour une peine purgée, mais un casier politique impardonnable. La libération d’Abdallah après tout ce temps n’est pas un geste humaniste mais un aveu de lâcheté. L’État n’a jamais cédé aux principes. Il a juste fini se lasser de son propre mensonge. Mais par-delà les compromissions de la République, réjouissons-nous car Georges Ibrahim Abdallah est enfin libre.
P.P.-V.
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80 ans après sa création, la Sécurité sociale reste un pilier fondamental du modèle social français. L’occasion de revenir sur son histoire, les grandes dates des réformes de sa gouvernance et qui ont conduit à une situation plus attaquée que jamais par les idéologues néolibéraux. Une émission de France Culture avec Eric Chenut, président de la Fédération Nationale de la Mutualité Française, et le toujours excellent économiste Michaël Zemmour.
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