Femmes de ménages : des luttes modèles et victorieuses

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Dans la période, les luttes victorieuses se font rares. Pourtant, depuis quelques années, les femmes de ménage montrent l’exemple. Avec pour principal atout, la solidarité des caisses de grève qui les font tenir dans la durée, imposant un rapport de force en leur faveur. Retour sur quatre de ces luttes.

Ibis Batignolles : victoire historique

La souffrance donne la force”, confie Sylvie, femme de chambre à l’hôtel d’Ibis Batignolles. Dès le 19 février 2019, elle et ses dix-neuf autres collègues se sont pointées presque chaque jour, de 9 heures à 16 heures, devant les portes du bâtiment, dénonçant “la cadence de travail” imposée par leur employeur, le sous-traitant STN. “Tu venais à l’hôtel, tu devais faire 21 chambres en 6 heures, soit une chambre toutes les 17 minutes. On savait que ce qu’on subissait là, c’était de la maltraitance”, explique Sylvie. Une mobilisation historique, devenue le symbole de la lutte contre l’exploitation du personnel de ménage dans les hôtels, notamment en raison de la durée du mouvement. Avec 22 mois de conflit, Ibis Batignolles est la plus longue grève de l’histoire de l’hôtellerie française. Les salariées obtiendront finalement gain de cause, bénéficiant d’une réduction de la cadence, d’un versement d’une indemnité nourriture de 7,24 euros par jour, et de meilleures conditions de travail. Un succès qui s’explique à la fois par la diversité des actions mises en place : distributions régulières de tracts, mobilisations les week-ends, renversement de confettis devant l’hôtel pendant le confinement. Mais aussi par l’installation d’une caisse de grève statutaire qui a largement participé au maintien de la lutte. “Pour celles qui travaillaient à temps partiel, avec un boulot à côté, elles partaient avec 600 euros par mois. Celles qui dépendaient uniquement de ce travail, à temps plein, elles avaient 1000 euros”, détaille Tiziri Kandi, syndicaliste à la CGT-HPE et chargé de la trésorerie à cette période et qui a mené de nombreuses luttes victorieuses semblables. Enfin, l’emballement médiatique autour de la mobilisation, s’est aussi révélé être un atout précieux dans la lutte : “on se disait, ça y est, finalement, un jour, on va parler de nous. Les gens doivent comprendre que ce ne sont pas des robots qui travaillent.” s’émeut Sylvie, convaincue que l’ampleur de la mobilisation a permis à d’autres femmes de chambre d’exprimer leurs revendications. 

L’Holiday Inn à Clichy : la joie combative 

Avant l’Ibis Batignolles, une autre lutte, moins médiatisée, avait trouvé gain de cause au terme de 111 jours de grève : celle de l’Holiday Inn à Clichy, en 2018. Le détonateur du conflit est alors lié à la mutation forcée de deux salariées. Une conséquence directe du recours à la sous-traitance qui peut envoyer les salariées, parfois sans préavis, dans un hôtel différent, rendant les conditions de travail intenables. Pour Anne, une ancienne gréviste, c’est d’abord la motivation qui explique le succès rencontré : “On se disait que tenter de changer nos conditions de travail méritait le risque de tout perdre et d’être licenciée. On était si déterminées qu’on aurait pu durer un an”. Mais gagner n’est pas seulement le résultat d’une détermination, c’est aussi celui d’une organisation très concrète au jour le jour : « La grève ce n’est pas un bouton sur lequel on appuie. Il faut qu’il y ait une communauté de travail, avec des gens qui se côtoient et qui ont envie de se battre ensemble, sinon c’est voué à l’échec. On retrouve cela dans les gros sites hôteliers », analyse Etienne Deschamps, juriste au syndicat CNT Solidarité ouvrière. Une vision partagée par Anne qui se souvient : « On était très solidaires : Il y avait des femmes qui avaient des enfants en bas âge alors on alternait entre nous pour aller les chercher à l’école et les occuper. Il fallait tenir le piquet de grève coûte que coûte, tous les jours ». Cette solidarité est couplée d’une joie combative qui permet aussi de tenir sur la durée : « C’était de très beaux moments. On mettait de la musique, on dansait, on lançait des confettis. Je n’oublierai pas cette grève ». Un optimisme payant puisque l’accord signé entre les organisations syndicales et la direction de l’hôtel a permis la revalorisation des qualifications, la mise en place d’une prime de panier, la désignation d’un délégué syndical de proximité et l’internalisation des services en 2019. Sept ans plus tard, Anne témoigne : « Mon salaire a plus que doublé. Aujourd’hui je suis à 2 200 € net. Là où il y a de l’exploitation, il faut que les gens se rebellent car cela porte ses fruits ».

Science Po : bataille-éclair

Outre les grèves victorieuses dans les hôtels, la mobilisation des 77 agentes d’entretien (en majorité des femmes) des locaux de Science Po, début mars, a connu un succès fulgurant. Le 6 mars dernier, la grève débute. Une semaine plus tard, le personnel de ménage gagne l’obtention d’un 13e mois de salaire. À l’origine du mouvement, l’institution avait lancé un appel d’offre pour chercher une nouvelle société de ménage, tout en “refusant de dialoguer” sur les conditions de travail liées au changement de prestataire, selon Layla Mabrouk, représentante du syndicat CFDT Francilien de la Propreté, majoritaire sur le site. Puis, c’est 100% du personnel qui s’est mis en action. Pour Latifa, cheffe d’équipe sur l’un des sites de Science Po, la communication du syndicat envers les grévistes est l’une des clés de cette mobilisation massive. “Il y avait des gens qui ne parlaient pas français. Des Tibétains, des Philippiens, et le syndicat a été présent pour bien leur communiquer, et rassurer tout le monde”, explique-t-elle. De plus, les manifestantes ont pu compter sur le soutien des étudiants, notamment grâce aux membres du Collectif Du Lien qui agit depuis trois ans pour une cohésion entre les travailleurs et travailleuses essentiels de Science Po, et les étudiants. “On s’est mis à bloquer dès le début. On a créé une caisse de solidarité supplémentaire qui a permis de rapporter 5 000 euros en cinq jours,” détaille Noé, étudiant en master et membre du collectif. Rapidement, au sein des locaux, les poubelles se sont mises à déborder, la saleté à envahir les couloirs, rendant impossible la pratique des cours. Pour Saphia Doumenc, sociologue des mobilisations et du syndicalisme, cette dimension universitaire est non négligeable dans la réussite de cette mobilisation : “Quand on a le soutien d’étudiants qui sont diplômés, qui maîtrisent les codes oratoires, cela devient également un soutien symbolique”, explique-t-elle.

Le Radisson Blu à Marseille : une victoire multidimensionnelle

Le succès de ces grèves ne se cantonne pas à la région francilienne. En témoigne celle du Radisson Blu à Marseille, où quatorze femmes de chambre ont fait plier, au terme de deux mois de combats, la société Acqua, sous-traitant de l’hôtel de luxe. La grève a montré les bénéfices de la convergence de lutte, avec la présence d’associations féministes comme « Du pain et des Roses » venue soutenir les femmes de chambre. Pour Saphia Doumenc, sociologue des mobilisations et du syndicalisme, les victoires des femmes de chambre « s’inscrivent dans une revendication multidimensionnelle. Elle est d’abord matérielle, mais c’est aussi une remise en cause de leur place dans la société, en tant que femme, et en tant que femme issue de l’immigration ». Au nombre des revendications gagnées :  une revalorisation de leur salaire – certes dérisoire, de onze centimes par heure -, une clause de mobilité limitée à trois déplacements par mois maximum, et la mise en place progressive d’un treizième mois. Actuellement, devant l’hôtel Campanile de Suresnes, les femmes de chambre grèvent depuis le 19 août. Sans connaître l’issue du combat, l’une des grévistes affirme : « Le fait de tenir depuis 8 mois est déjà en soi une victoire ». Comme un écho à la phrase de Brecht : « Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner, mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu ».

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