Cuba : « Le nouveau code de la famille est l’un des plus inclusifs au monde »
En votant majoritairement en faveur du nouveau code de la famille, les Cubains ont non seulement rendu possible les mariages homosexuels et la GPA, mais aussi ouvert des droits où tous les types de famille sont concernés, dans toute leur complexité.
Mélanie Moreau-Lebert est maître de conférences en civilisation hispano-américaine à l’université Bordeaux Montaigne, spécialiste de Cuba.
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Regards. Le 25 septembre, les Cubains ont voté un nouveau code de la famille via référendum. Avec 74% de participation, c’est le oui qui l’emporte à plus de 66%. Que prévoit ce code de la famille et dans quel contexte intervient-il ?
Mélanie Moreau-Lebert. Au départ il faisait partie du projet de Constitution de 2019, mais face aux nombreuses résistances des églises sur la question du mariage homosexuel, le vote sur le code de la famille a été reporté. Il vient remplacer un code plus ancien, daté de 1975. Ce nouveau code de la famille est considéré comme l’un des plus inclusifs en matière de droits sociétaux d’Amérique latine – pour ne pas dire au monde. On parle beaucoup du mariage gay – qui n’est pas une petite avancée pour un pays, une société, qui, comme le reste de la région, est marqué par un fort héritage patriarcal et machiste, qui a connu les camps de travail forcé pour homosexuels dans les années 60 – mais ce code de la famille a un périmètre très étendu : il ouvre la voie à la GPA « solidaire » (sans fins lucratives), renforce les droits des enfants, des handicapés, des personnes âgées, des grands-parents, des beaux-parents, des familles monoparentales (qui peuvent désormais prétendre à l’adoption), etc. Tous les types de famille sont concernés, dans toute leur complexité. La question du mariage de personnes du même sexe, et plus largement celle de la communauté LGBTI, est aussi le résultat d’un combat de fond mené depuis des années par Mariela Castro, la fille de Raul Castro, à la tête du CENESEX. Le souci, c’est que cela intervient dans une période très difficile pour Cuba. L’île vit une crise économique, sociale et politique sans précédent. Les Cubains survivent, mènent une lutte quotidienne rien que pour se nourrir. Les pénuries concernent tous les secteurs, il y a des coupures de courant qui durent pendant plusieurs heures. Cette situation à plusieurs causes : l’embargo renforcé par Donald Trump quelques semaines avant la fin de son mandant ; la chute du tourisme ; la crise du covid… Cuba est replongé dans l’isolement, sans précédent. Rappelez-vous pendant la pandémie, Cuba a offert son aide à l’international et, en retour, les Cubains ont été privés de l’aide internationale. Ils n’ont pas pu avoir accès aux respirateurs chinois, par exemple, et ont connu une pénurie de médicaments.
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Peut-on parler de révolution sociétale, dans un pays qui a connu des camps de « rééducation » pour homosexuels ? D’où vient ce changement dans la société cubaine ? Existe-t-il une opposition ?
Mise à part la question du mariage entre personnes du même sexe et la reconnaissance des personnes LGBTIQ, on ne peut pas vraiment parler de « révolution » avec ce nouveau code de la famille, dans le sens où la révolution cubaine a toujours tendu à être inclusive. Elle a été l’affirmation de l’égalité de genre, de classe, de race, et ce depuis le départ – bien que la réalité ait été différente à bien des égards. Il s’agit plutôt d’une vague sous-jacente qui monte depuis des années. Alors, certes, que ces droits, extrêmement progressistes, soient inscrits dans la loi est quelque chose de fort sur le plan symbolique, en particulier dans un contexte international où l’on assiste à un recul des droits fondamentaux, ceux des femmes la plupart du temps (l’avortement aux États-Unis, par exemple). La campagne pour le « oui » menée par l’État cubain depuis des mois a réussi à contrer les parties les plus conservatrices du pays, notamment les églises, mais le problème est que si ces droits sociétaux vont dans le sens de ce que la révolution a toujours prôné, les valeurs de la révolution ne trouvent plus d’écho dans la jeunesse. Les frustrations, les pénuries, le manque de perspectives, génèrent une profonde colère sociale. C’est la raison pour laquelle, et c’est nouveau, l’État laisse partir les gens, octroie des visas en grand nombre et peine à fédérer autour d’un projet commun – cette Révolution à laquelle beaucoup ne croient plus. Ce référendum est tout et son contraire, une façade d’avancée sociale au moment même où les Cubains vivent une situation terrible. Le peuple cubain est très résilient, mais il est tellement préoccupé par sa survie quotidienne que le code de la famille n’a pas l’effet d’éclat escompté.
« La situation s’était grandement améliorée entre Cuba et les États-Unis avec la main tendue historique de Barack Obama. C’était le présage d’un renouveau, Trump a tout fait échoué et Joe Biden n’a rien changé. »
Depuis 2018, Cuba est dirigé par Miguel Díaz-Canel – lequel a succédé à Raul Castro, mettant fin à quarante ans de castrisme. Quels changements notables ont eu lieu sous sa présidence ?
Miguel Díaz-Canel est un jeune président, moderne, assez proche du peuple. Mais il est entouré de personnes qui n’ont plus une éthique aussi forte qu’avant. Miguel Díaz-Canel fait ce qu’il peut mais il n’a pas le charisme de Fidel Castro. Et vu la situation dans laquelle se trouve le pays, difficile de ne pas avoir un leader charismatique… car depuis 2018, la situation a empiré, de façon conjoncturelle. Les injustices se sont creusées au vu et su de tous. Le tourisme, l’une des entrées d’argent les plus importantes du pays, s’est effondré du jour au lendemain. Ce à quoi il faut ajouter la crise du covid… Depuis le 11 juillet 2021, les Cubains organisent des manifestations d’une ampleur inédite, au départ pour protester contre les pénuries, puis les revendications se sont déplacées contre l’État. Cette crise est pire que la « période spéciale », après la chute du bloc soviétique, puisqu’aujourd’hui, la foi dans les valeurs de la Révolution a disparu, l’espoir de lendemains meilleurs porté par un leader comme Fidel ont disparu pour céder la place au découragement. Face à cela, l’État s’est durci. Fait assez nouveau, il y a eu beaucoup d’arrestations de manifestants. Il y a quelques mois, le pays a adopté un nouveau code pénal, lequel a renforcé les mesures coercitives contre les dissidents. Alors, mis en parallèle du code de la famille, il y a un deux poids deux mesures difficile à vivre. L’impact des mesures restrictives de Donald Trump sont énormes, d’autant que la situation s’était grandement améliorée avec la main tendue historique de Barack Obama. C’était le présage d’un renouveau, Trump a tout fait échoué et Joe Biden n’a rien changé.
Propos recueillis par Loïc Le Clerc