LETTRE DU 4 FEVRIER
Les droites européennes face au défi fasciste
Les digues lâchent contre l’extrême droite un peu partout en Europe… Mais pas forcément dans la population.
Ce dimanche à Berlin, 250 000 personnes ont défilé contre le rapprochement de la droite CDU et de l’extrême droite AfD. Ils étaient presqu’autant dans toute l’Allemagne la veille. Une mobilisation qui n’est pas sans rappeler celle du peuple français après l’accession au second tour de Jean-Marie Le Pen en 2002. Si, les députés CDU semblent abandonner le cordon sanitaire contre l’extrême droite, la rue, elle, n’a pas dit son dernier mot.
Cette mobilisation faisait suite à la proposition de loi sur l’immigration soutenue par la droite et l’extrême droite. Cette alliance des chrétiens démocrates et des néofascistes, une première depuis 1945 en Allemagne, a brisé un tabou et suscité une vague d’émotions. Dès juillet dernier Ursula Von Der Layen, présidente de la Commission européenne venue de la CDU, envisageait déjà de nouer une alliance avec certains courants d’extrême droite pour conserver son poste à la direction de la commission.
A son tour, le candidat conservateur à la chancellerie Friedrich Merz envisage ce rapprochement en termes de coalition. La CDU et le SPD ont perdu leur hégémonie d’antan et le jeu d’alliances devient premier. Friedrich Mertz escompte le soutien de l’extrême droite pour conquérir le pouvoir lors des prochaines législatives du 24 février. Additionner les voix de la CDU et de l’AfD lui assurerait une majorité confortable. Au prix d’un renoncement aux valeurs démocratiques. Ses électeurs sont-ils prêts à franchir ce pas ? Pas certain.
Le rapprochement droite – extrême droite ne se limite pas à des alliances électorales. De plus en plus, elle consiste en l’appropriation des thèmes voire des propositions de l’extrême droite. Cette tactique avait été mise en oeuvre par Nicolas Sarkozy, conseillé par Patrick Buisson dont on sait désormais qu’il était un agent actif de l’extrême droite. Elle avait permis de récupérer une partie des électeurs du Front National en 2007. Reprendre ses idées, serait-elle la seule façon efficace de bloquer l’extrême droite? Les scores actuels du RN prouvent l’inefficacité de la stratégie. Cette contorsion conduit même à la disparition de toute colonne vertébrale idéologique à droite : qui s’étonna qu’Eric Ciotti, président des Républicains, annonce une alliance avec le Rassemblement national de Marine Le Pen à la veille des élections législatives de 2024 ? Personne.
Rares sont les territoires européens qui ont maintenu un cordon sanitaire autour de l’extrême droite. C’est le cas de la Belgique francophone : dans leurs médias, pas un représentant de l’extrême droite n’est invité sur les plateaux de télévision ou de radio. Le résultat est sans appel : aucun élu fédéral d’extrême droite. En France, au nom du pluralisme, on met un point d’honneur à la traiter comme les autres partis. Voire avec une certaine connivence.
Pourtant, si le RN se targue d’avoir quelque 11 millions d’électeurs depuis juillet dernier, ce sont près de 21 millions qui n’ont pas fait ce choix. Pourquoi cette France qui n’a pas abdiqué face à l’extrême droite est-elle autant invisibilisée ? Le pouvoir refuse toujours de relier le vote de juillet dernier à l’existence d’un front républicain. De fait, les premiers ministres Barnier puis Bayrou traitent avec déférence les élus lepénistes.
Contrairement aux Etats-Unis où Donald Trump et ses affidés fascistes ont réussi à faire main basse sur le Grand Old Party, les partis européens sont challengés de l’extérieur par l’extrême droite. Devant cette pression, ils ont le choix : résister avec un projet alternatif, s’aligner et se perdre idéologiquement, s’allier et se faire manger. Face à ces partis qui s’engagent sur ces sentiers délétères, les peuples européens n’ont pas fini de devoir se mobiliser.
Pablo Pillaud-Vivien
MISE AU POINT DU JOUR
Jean-Luc Mélenchon clarifie la position insoumise sur le conflit israélo-palestinien
Devant un amphi d’étudiants à Toulouse, Jean-luc Mélenchon a clarifié la position de LFI sur le conflit israélo-palestinien. « II n’y [a] qu’une position à tenir : celle du droit international » : ce retour sur les principes intervient alors qu’un flou dominait depuis que la FI avait fait de Rima Hassan la porte voix du combat en faveur des Palestiniens. La juriste, intellectuelle engagée, s’est plusieurs fois prononcée pour un seul État binational. Elle était en phase avec de nombreux militants et intellectuels. Cette position s’incarnait dans les manifestations autour du fameux slogan “From the river to the sea”, confondant revendication d’un Etat binational avec refus de l’existence d’Israël. La présence de ce slogan tenait à l’écart des manifestations de nombreux militants pro-palestiniens. Il empêchait la lutte convergente en faveur de la reconnaissance de l’Etat palestinen par la France. Jean-Luc Mélenchon tente de sortir du maelström qui discrédite LFI autour d’un amalgame entre jugement sur le Hamas, 7 octobre, “antisémitisme résiduel” et question palestinienne.
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