Faire mieux : et si c’était Clémence Guetté ?
Propulsée à la vice-présidence de l’Assemblée nationale, la cheffe d’orchestre du programme insoumis pourrait incarner la relève de Jean-Luc Mélenchon.
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La cérémonie est solennelle. 28 janvier, siège de La France insoumise (LFI), à quelques pas de la gare de l’Est, à Paris. Jean-Luc Mélenchon doit présenter à la presse la version actualisée de son programme « L’Avenir en commun » qu’il défend à chaque présidentielle depuis 2017 et qu’il compte porter en cas d’élection anticipée. Le moment est fondamental pour le mouvement insoumis qui voue un culte à ces centaines de propositions détaillées, chiffrées, chapitrées. Depuis longtemps, il le martèle : « Le mouvement, c’est le programme et le programme, c’est le mouvement ».
En début d’après-midi, le triple candidat à la présidentielle entre dans la salle en premier, suivi de près par sa garde rapprochée. « Attention, il y a des “Kremlinologues” qui vont regarder dans quel ordre vous arrivez », blague l’ancien sénateur socialiste en direction des têtes pensantes de l’insoumission derrière lui. Manuel Bompard, le coordinateur du mouvement, Mathilde Panot, la cheffe de file des députés, Aurélie Trouvé, la présidente de la commission des affaires économiques, Eric Coquerel, le président de la commission des Finances, Hadrien Clouet, vice-président de la commission des Affaires sociales… Coïncidence ou pas, celle qui suit à la trace le fondateur de La France insoumise s’appelle Clémence Guetté, 33 ans, première vice-présidente de l’Assemblée nationale, co-présidente de l’institut La Boétie et co-responsable du programme insoumis avec Hadrien Clouet. Symbolique ou pas, c’est elle qui prend la parole en premier quand Jean-Luc Mélenchon quitte la salle après un propos introductif d’une vingtaine de minutes. Dans une telle procession, les petits détails ne sont jamais anecdotiques.
Cheffe d’orchestre
A gauche, certains l’imaginent déjà reprendre le flambeau, succéder à celui qui a porté la gauche radicale au plus haut. Une transmission que beaucoup considèrent comme logique. Si adhérer au Nouveau parti anticapitaliste l’a, plus jeune, intéressée, l’enfant des Deux-Sèvres a poussé la porte de toutes les chapelles mélenchonistes. Parti de gauche, Front de gauche, Mouvement 6e République, La France insoumise… Celle qui est issue d’une famille politisée mais pas militante, une mère prof et un père homme au foyer, a franchi toutes les étapes du cursus honorum en mélenchonie. « Je me suis toujours sentie en colère », estime-t-elle à son bureau de l’Assemblée lors de cet après-midi pluvieux du 29 janvier.
Aujourd’hui, elle est le rouage essentiel de la mécanique insoumise. Après un échec électoral aux régionales de 2021 en Nouvelle-Aquitaine (5,67 %), Guetté co-préside l’institut La Boétie et dirige en cheffe d’orchestre le sacro-saint programme du mouvement. « Évidemment, ce n’est pas elle qui l’a écrit toute seule, mais c’est elle qui coordonne tout le boulot. Et le programme est le vrai point de force de LFI », considère Stefano Palombarini, maître de conférences à l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis et membre du conseil scientifique de La Boétie.
Depuis mars 2024, la députée du Val-de-Marne compile les propositions des 40 groupes thématiques du mouvement, rassemble le travail législatif des députés et ajuste les positions programmatiques des insoumis. Un travail discret mais titanesque. « Elle pense qu’une bataille politique se fait par les idées, et pas seulement par les élections, que les dirigeants politiques doivent absorber les savoirs de la société mais aussi en être des producteurs, qu’ils doivent être des intellectuels de combat », affirme Hadrien Clouet, qui la connaît depuis dix ans. Sur son bureau de l’Assemblée trône une pile de livres. Parmi eux, le dernier essai du philosophe Geoffroy de Lagasnerie, Par-delà le principe de répression. Dix leçons sur l’abolitionnisme pénal (Flammarion, 2025), celui de Naomi Klein, Le double, voyage dans le monde miroir (Actes sud, 2024) et Le monde nazi (Tallandier, 2024) de Johann Chapoutot, Christian Ingrao et Nicolas Patin.
« Je trouve ça étonnant qu’on soit les seuls à s’astreindre à ce travail sur le programme. Des gens arrivent dans le débat et se disent avoir réfléchi à être candidat à la présidentielle… Et personne ne les interroge sur le fond de leur projet, regrette celle qui fut secrétaire générale du groupe insoumis entre 2017 et 2022. Le débat politique est de plus en plus tourné autour de personnages providentiels. C’est un appauvrissement idéologique total. Y compris chez nos partenaires de gauche, je suis bien en peine de vous dire quel travail sur le fond est mené. »
Obsédée par la question idéologique, c’est sur le terrain des idées qu’elle se sent la plus utile pour le moment. En 2016, elle intègre l’équipe chargée de l’élaboration du programme sous la direction de Charlotte Girard. Elle est encore étudiante. « J’étais une intello, c’était naturel, c’était un prolongement de ce que je pouvais faire dans ma vie professionnelle, c’était aussi en lien avec mes sujets d’intérêts », dit celle qui est passée par la fac de lettres de Poitiers, Sciences Po Paris et Agro Paristech. Ceux qui ont travaillé à ses côtés décrivent une femme « brillante », une excellente orchestratrice, sorte de « boîte à outils universelle » d’une curiosité insatiable et d’une grande discrétion.
Copie conforme
Au cœur des négociations autour du contrat de législature du Nouveau Front populaire (NFP) durant l’été 2024, elle mène, pour le compte de LFI, les discussions face aux émissaires socialistes, écologistes et communistes. « C’est une personne sérieuse, compétente et calme. Elle a mené avec équilibre ces négociations », reconnaît Laurent Baumel, conseiller d’Olivier Faure et négociateur socialiste. « Elle est très habile et agile dans la discussion, elle peut garder son calme y compris quand elle a eu affaire à des gens qui cherchaient des points de rupture », convient l’eurodéputé écologiste David Cormand, membre des négociations.
Assise à son bureau de l’Assemblée, elle semble partager à l’identique les thèses et les mots de Jean-Luc Mélenchon. Difficile de savoir s’il a déjà existé une petite différence entre elle et lui, selon un ancien insoumis. Une copie conforme ? Parmi les socialistes notamment, sa loyauté sans faille à son mentor énerve. « Elle incarne le mélenchonisme chimiquement pur dans ce qu’il a de plus sectaire et intolérant », lâche un membre de la direction du Parti socialiste (PS). Peut-être sait-elle que, pour avoir une influence au sein d’un mouvement critiqué pour son absence de démocratie interne et sa capacité à « purger » ceux qui osent élever la voix, elle ne doit pas prendre trop de distance avec l’ancien ministre de Lionel Jospin. « Je ne mesure pas sa marge d’autonomie dans la réflexion et l’action par rapport à lui », juge Laurent Baumel. Si elle est très éloignée du « bruit et la fureur » du triple candidat à la présidentielle, le reste de la gauche a bien compris qu’elle était entièrement alignée avec lui.
Bombardée première vice-présidente de l’Assemblée nationale, elle assure que les ors de la République ne l’impressionnent guère, elle critique cet entre-soi composé « de gens qui ont fait les mêmes écoles, qui se connaissent, qui ont à peu près le même capital culturel, pour qui ça paraît naturel d’avoir un chauffeur ». Malgré son poste prestigieux et son grand bureau, Clémence Guetté se considère comme une « révolutionnaire ». « Ça n’a rien d’incompatible. Soit on fait le choix de la marginalité institutionnelle et électorale, soit on veut prendre le pouvoir par les urnes. La révolution citoyenne que l’on a théorisée ne se fait pas en dehors des institutions. Au contraire. Il faut les connaître et ne pas en avoir peur, affirme-t-elle. Notre ambition révolutionnaire passe par le fait de prendre des postes à responsabilité pour pouvoir appliquer notre programme dans le pays. Et cela implique que certains d’entre nous s’y collent. J’ai accepté de m’y coller. Pour être honnête, ce n’était pas le rêve de ma vie, je n’y avais jamais songé, j’estimais être déjà bien occupée par d’autres responsabilités. »
Succession
D’une voix toujours calme, sereine, elle raconte son engagement écologiste : elle co-préside le groupe d’études consacré aux Pôles et s’est rendue en Antarctique en décembre 2023 et janvier 2024, durant l’été austral. Et étrille sans s’excuser le camp macroniste qui pille les idées de l’extrême droite à une vitesse phénoménale. Le 27 janvier, François Bayrou parle de « sentiment de submersion » migratoire. Le lendemain, jour du 80e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, la députée Caroline Yadan accuse les insoumis d’attiser « la haine des juifs ». Une intervention applaudie par le Rassemblement national. Ce soir-là, une fois rentrée chez elle, la députée avale Les irresponsables (Gallimard, 2025), le dernier essai de Johann Chapoutot qui raconte comment la République de Weimar a installé le fascisme en Allemagne.
« Il faut maintenir le cordon sanitaire vis-à-vis de l’extrême droite, ce n’est pas une force comme les autres. Ils ne doivent pas accéder à des postes à responsabilité à l’Assemblée, on s’oppose à leurs textes, on défend nos arguments, on ne cède pas d’un pouce sur leurs sujets, on saisit toutes les occasions pour rappeler les faits », liste-t-elle. Depuis la sortie du premier livre de La Boétie paru en septembre, Extrême droite : la résistible ascension, dans lequel elle signe la postface, l’insoumise entame un tour de France dans les territoires de conquête du Rassemblement national, dans la Creuse, en Moselle, dans l’Hérault ou les Alpes-de-Haute-Provence. Une façon de se faire connaître partout en France et une envie de se confronter au terrain. « C’est trop facile de faire des commentaires démoralisants sur la progression de l’extrême droite et de ne pas aller aider sur place ceux qui résistent concrètement. »
Et plus tard ? Jean-Luc Mélenchon la cite régulièrement comme sa successeure. « Comme Manuel Bompard et Mathilde Panot, Clémence a une importance capitale pour notre mouvement. Elle fait partie de la relève de Jean-Luc Mélenchon », considère Gabrielle Cathala, qui lui a succédé au secrétariat général du groupe avant d’être élue députée dans le Val-d’Oise. « Elle a accompli beaucoup de choses et elle n’est pas au bout de ses capacités », d’après Hadrien Clouet. « C’est l’une des personnalités qui sera amenée à reconstruire le paysage politique à gauche dans les 20 ou 25 années à venir », admet David Cormand. « Je fais partie, comme d’autres, de ces gens qui se sont formés depuis des années et qui, chacun à leur poste, occupent des fonctions importantes pour le mouvement, en essayant de le faire le mieux possible, en y consacrant une bonne partie de notre vie. Je continuerai à être là où c’est le plus utile », répond l’intéressée. Un flou bien maîtrisé. Dans l’insoumission, difficile d’avancer clairement ses propres cartes.