LA LETTRE DU 19 DÉCEMBRE
Mayotte : un défi global pour l’État
par Catherine Tricot
À certains endroits de l’île, le cyclone Chido a tout détruit. Mais la catastrophe mahoraise n’est pas qu’une affaire climatique.
« Où sont les gens ? Ils habitaient dans des cases en tôle, sans soubassement. Il n’y a plus rien que le silence », souffle le sénateur mahorais Saïd Omar Oili. Le nombre de morts enregistré « n’est pas en adéquation avec la réalité des 100 000 personnes qui vivent dans un habitat précaire », relève le ministère de l’intérieur. Il y a les innombrables morts… et il y a les vivants, sans abris, isolés, blessés sans accès aux soins, assoiffés et affamés.
Les moyens déployés par l’État depuis l’île de la Réunion sont considérables pour apporter de l’eau, de la nourriture, déblayer les routes et remettre en marche électricité et réseaux de communications. Emmanuel Macron va atterrir ce jeudi sur l’île avec un avion plein de vivres. François Bayrou, taxé d’avoir mal apprécié la situation, déclare que « la France fait face à la pire catastrophe naturelle depuis des siècles ». L’onde de Valence se fait sentir : dans des situations extrêmes, l’État et ses représentants sont attendus, vite et fort.
La reconstruction va commencer sans tarder. Et c’est déjà la fin de l’union nationale. D’où vient l’ampleur de la catastrophe ? Comment rebâtir pour que cela ne recommence pas ? 72 heures à peine après le passage du cyclone, Bruno Retailleau livre son diagnostic sur X : « On ne pourra pas reconstruire Mayotte sans traiter, avec la plus grande détermination, la question migratoire […] Il faudra légiférer pour qu’à Mayotte, comme partout sur le territoire national, la France reprenne le contrôle de son immigration. » En accord avec la plupart de la population mahoraise, le premier flic de France a un marteau et voit tous les problèmes en forme de clou. Comme l’extrême droite, il a une obsession et une seule. La porte aux explications simplistes et aux solutions expéditives lui avait été ouverte en 2023 par Gérald Darmanin et son opération « Wuambushu » visant à détruire l’habitat indigne, augmenter les expulsions et lutter contre les arrivées en bateau de Comoriens.
La Cimade rappelle « c’est la précarité extrême des personnes qui les a exposées, pas leur statut administratif ». L’Insee nous apprend que 42% de la population vit avec moins de 160 euros par mois et un tiers des habitants vit dans des bidonvilles insalubres. Ce n’est pas le droit du sol, mais les écarts de PIB entre Mayotte et les Comores qui justifient les mouvements de population. Cette réalité s’impose : les hommes se battent pour vivre et rien ne les arrête.
Quelques pistes méritent d’être suivies : reconstruire mais en anticipant les effets d’un climat déréglé. Cesser les expulsions en masse vers les Comores qui laissent des mineurs isolés aux prises avec la violence pour survivre, cause de beaucoup d’insécurité. Créer – enfin – un accès général à l’eau potable. Considérer Mayotte comme une île dans un archipel.
Insistons ici sur le rôle incontournable de l’État dans l’urgence mais aussi pour conduire la reconstruction. À l’heure où les normes sont décriées, celles qui définissent les constructions anticycloniques doivent s’imposer. Elles peuvent faire l’objet de nouvelles réflexions et retour d’expériences mais il est certain qu’elles ne s’accommoderont pas de constructions légères en tôle ondulée. Reconstruire coûtera cher en argent et en innovation pour faire avec les Mahorais. Couler du béton ne peut pas être la première réponse.
Le second axe incontournable est celui d’une nouvelle approche de l’avenir de Mayotte et de l’archipel des Comores. Dans les années 70, Valéry Giscard d’Estaing rappelait : « Les Comores ont toujours été une unité. Il est naturel que leur sort soit un sort commun ». Et de fait les liens familiaux et de solidarité forment une toile dense, quel que soit le statut de ces îles. L’indépendance ou non n’est pas la question ultime.
La fragilité des îles impose de ne pas les isoler. Le monde vit un moment de repli quand il faudrait penser interdépendance. Pour Mayotte, comme dans les Caraïbes ou dans l’océan Pacifique, les îles peuvent choisir de rester françaises ainsi que l’ont voulu ici les habitants. Mais la France n’a pas à les séparer de leur géographie et de leur histoire. Un objectif de la diplomatie française serait sûrement de faire émerger des unités de solidarité entre territoires aux destins liés. Et d’y participer.
Catherine Tricot
ROLEX DU JOUR
Sarkozy condamné : si à 69 ans, t’as pas un bracelet électronique…
C’est une première (si, si !) dans le casier judiciaire de Nicolas Sarkozy : ce 18 décembre, la cour de cassation a rejeté les pourvois de l’ex-président et rendu définitive sa condamnation pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire Bismuth. Il aura fallu dix ans de procédure pour en arriver là. Preuve qu’un des fondements de la République depuis la Révolution française, l’égalité devant la loi, n’est encore qu’un idéal. Les puissants ont les moyens de différer leur jugement en usant de tous les ressorts, à grand renfort d’argent. Mais aujourd’hui, « Sarko » écope de trois ans de prison dont un an ferme sous bracelet électronique. Finies, les sorties au Stade de France ! Bye bye, la légion d’honneur ! Cette condamnation pourrait ne pas être la dernière. Dès janvier, Nicolas Sarkozy est attendu au tribunal de Paris dans l’affaire des soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle 2007. La cour de cassation devrait aussi trancher l’affaire Bygmalion en 2025. Sans compter l’affaire Takieddine, le Qatargate, l’affaire Lagardère-Qatar, l’affaire du groupe russe d’assurances Reso-Garantia…
L.L.C.
ON VOUS RECOMMANDE
L’article du Point « Une ‘énigme’ de l’Histoire résolue aux Archives nationales ». On suit les travaux de Philippe Charlier, le « médecin légiste de l’Histoire », qui s’est penché, à la demande du chef du département de l’action culturelle des Archives nationales, sur les quelques taches imbibant un bureau du 18ème siècle. Réquisitionné par les révolutionnaires en 1793, les insignes royales ont fait place aux bonnets phrygiens. On lit : « Une légende prétend que Maximilien Robespierre passa ses dernières heures allongé dessus, la nuit du 27 au 28 juillet 1794 ». Et la légende disait vrai. Les taches sont du sang, celui d’un homme venant d’être blessé à la mâchoire. Robespierre a pris un coup de feu. Philippe Charlier y trouve également « la trace de larmes versées par Robespierre cette nuit fatidique ». Le lendemain matin, le 10 thermidor an II, Robespierre est conduit à l’échafaud.
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