Absentéisme des fonctionnaires : les approximations problématiques de l’exécutif
Le graphique d’un rapport officiel dément la charge de Guillaume Kasbarian contre ceux dont il est censé être le ministre.
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Dans la deuxième lame des mesures antisociales du projet de budget du gouvernement, les fonctionnaires sont en première ligne. Outre la poursuite du gel de la valeur du point d’indice, la suppression de la Garantie individuelle de pouvoir d’Achat (GIPA), le gouvernement veut imposer un passage d’un à trois jours de carence en cas d’arrêt maladie. En cas d’arrêt de longue durée, le taux de couverture des trois premiers mois du congé maladie passerait par ailleurs de 100 % à 90% du salaire.
Le ministre Kasbarian mène la charge pour désigner les fonctionnaires à la vindicte de la population laborieuse. Et comme de bien entendu, le Rassemblement National annonce déjà son soutien.
Sauf que, comme le révèle Nicolas Da Silva, très bon spécialiste de la Protection Sociale sur son compte X, les documents sur lesquels le ministre s’appuie, disent largement le contraire des abus qu’il prétend combattre.
Prenons dans l’ordre. Ainsi, le ministre affirme :
« Cet absentéisme coûte 15 milliards d’euros. Nous devons agir. C’est le sens de ces mesures d’alignement sur le privé :
- Passer le nombre de jours de carence d’un à trois ;
- Limiter les remboursements des arrêts maladie à 90% ;
- Concrètement, c’est 1,2 milliard d’euros d’économisés.
Ces données proviennent d’un rapport de l’Inspection Générale des Finances et de l’Inspection Générale des Affaires Sociales remis en juillet 2024. Après une période 2014 – 2019 au cours de laquelle les absences pour raison de santé se situaient à des niveaux comparables dans les deux champs public et privé (environ 8 jours par an), elles s’élèvent en 2022 à 14,5 jours par agent dans la fonction publique et à 11,7 jours dans le secteur privé par salarié. Depuis 2022, elles amorcent une baisse mais sans revenir à leur niveau d’avant crise.
Les 15 milliards de « coût de l’absentéisme » représentent en fait la rémunération de la totalité des jours d’absence (et non d’absentéisme) pour raison de santé des agents publics. « Les mots peuvent être comme des minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde » a averti Victor Klemperer (cité par Edwy Plenel dans son dernier ouvrage Le jardin et la jungle aux éditions La Découverte).
Les salarié.es dans le secteur privé ne subissent pas 3 jours de carence contre 1 pour les salarié.es de la fonction publique. Deux tiers d’entre eux sont protégés contre la perte de revenu induite par le délai de carence grâce à la prévoyance d’entreprise. Et justement une étude de la très officielle DREES datant de 2015, conclut que « les salariés (du privé) couverts durant le délai de carence n’ont pas de probabilité plus élevée d’avoir un arrêt dans l’année, mais ont des durées totales d’arrêt maladie significativement plus courtes ».
L’absentéisme, c’est-à-dire l’abus d’absence qui serait spécifique à la fonction publique, est en fait presque introuvable.
C’est ce que dit le graphique ci-dessus que l’on retrouve à la page 10 du rapport.
Les caractéristiques des agents (âge, sexe, état de santé) et de leurs emplois (type de contrat, catégorie socio-professionnelle, diplôme) diffèrent entre le secteur privé et la fonction publique. Et, dit le rapport, ces caractéristiques différentes « expliquent 95 % des écarts de taux d’absence avec le secteur privé pour la Fonction publique d’Etat et la Fonction publique hospitalière et 53 % pour la Fonction publique territoriale ».
Exemples : une plus grande féminisation de la fonction publique ; un âge moyen plus élevé ; des agents publics territoriaux et hospitaliers plus souvent atteints de maladie chronique ou membres d’une famille monoparentale…
Quand le ministre parle de 15 milliards de coût de l’absentéisme dans la fonction publique, le rapport chiffre le coût de l’écart inexpliqué dans l’ensemble de la fonction publique à … 700 millions d’euros !
Et encore, le rapport précise que l’écart inexpliqué notamment dans la fonction publique territoriale pourrait l’être par d’autres caractéristiques non retracées dans l’enquête. Il ne s’agit pas forcément d’absentéisme.
S’agissant de la lutte contre l’absentéisme, le rapport fournit les pistes reprises par le gouvernement : l’allongement à trois jours du délai de carence et la baisse du taux de remplacement des salaires à 90 voire 80%. Le rapport évoque surtout l’effet de baisse sur les dépenses publiques beaucoup plus que l’impact sur l’absentéisme proprement dit. Il ne dit rien des effets secondaires sur la santé publique et sur les comptes de la sécurité sociale.
Pour finir, le rapport souligne que « l’amélioration de la santé au travail des agents publics, qui implique une politique de prévention plus volontariste et un accompagnement renforcé des parcours professionnels, constitue un levier de réduction de l’absentéisme. » Mais pour le gouvernement et son ministre en charge contre la fonction publique, c’est visiblement hors sujet.