Jean Pisani-Ferry, le marieur

Bernard Marx se paye Jean Pisani-Ferry, imaginant la feuille de route d’un gouvernement de coalition, dans un texte « très laborieux et très mauvais », tout autant que « la politique qu’il cherche à défendre et à construire ».

Jean Pisani-Ferry a fait partie de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron en 2017. Il est actuellement professeur d’économie à Sciences Po (Paris), à l’Institut universitaire européen (Florence), à Institut Bruegel (Bruxelles), et au Peterson Institute for International Economics (Washington). Il offre bénévolement dans Le Monde ses services de marieur et imagine la feuille de route d’un gouvernement de coalition. C’est à la fois assez surréaliste, irréaliste et affligeant. Jean Pisani-Ferry est lui-même si peu convaincu de sa possibilité, qu’il explique in fine que, si une telle « coalition d’action » devait se réaliser, elle serait de courte durée.

 

LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR
>>
La fable de Madame de Montchalin et les graphiques bidons de Monsieur Guérini

 

Il n’empêche : la feuille de route imaginée par Jean Pisani-Ferry pourrait bien être assez fidèle à la politique qu’Élisabeth Borne annoncera (et aussi cachera) prochainement au Parlement. Et pour cause. C’est ce qui reste possible quand on a renoncé à prendre la mesure de la crise multi-dimensionnelle du monde capitaliste actuel et aux moyens de s’y attaquer.

Jean Pisani-Ferry reprend à son compte le cadre fixé par Emmanuel Macron et selon les termes mêmes de celui-ci. À savoir que seuls « les partis ayant déjà gouverné, ensemble ou séparément – Parti communiste (PC), Europe Ecologie-Les Verts (EELV), Parti socialiste (PS), Ensemble ! et Les Républicains (LR) –, pourront faire partie d’une possible « coalition d’action », tandis qu’en seraient exclus La France insoumise (LFI) et le Rassemblement national (RN), qui n’ont jamais gouverné ».

Le voici donc qui imagine les contours de la politique d’une telle coalition. Sans même avertir qu’il est en train d’imaginer, en même temps, l’explosion de la NUPES, le ralliement du PCF, du PS et ou d’EELV, la trahison de la parole politique. Sans doute, considère -t-il, que c’est là, la nouvelle norme de la politique.

« Une ponction notable sur le pouvoir d’achat »

Et pour quel plat de lentilles les partis de gauches se coaliseraient-ils avec l’Ensemble de la Macronie et avec Les Républicains ? Il s’agira, dit Jean Pisani-Ferry, de faire avaler « une ponction notable sur le pouvoir d’achat ». Et pour cela dire que c’est :

  • « Dans l’immédiat », le prix à payer pour combattre l’agression de la Russie en Ukraine : « Il va falloir accepter qu’on ne pourra pas faire entendre raison à un agresseur – la Russie –, prêt à réduire ses revenus de 20%, si on ne peut pas supporter que les nôtres baissent de 2% ».
  • Dans la durée, expliquer que c’est nécessaire si l’on prend bien « la mesure des investissements indispensables à brève échéance, que ce soit en matière de transition écologique, de résilience économique, de restructuration du système énergétique, d’éducation, de santé ou de défense ».

De plus, deux autres contraintes ne sauraient faire l’objet de compromis :

  • La politique monétaire va cesser (au mieux progressivement) d’être laxiste et les taux d’intérêt vont augmenter : « La soudaine remontée des alarmes sur les taux d’intérêt publics est sans nul doute excessive, mais elle signale un risque de panique qu’il faut endiguer ».
  • Le président Macron a fixé les bornes et cela ne peut pas faire l’objet d’aucun dépassement : « M. Macron a cependant fixé certaines limites à la possibilité de s’en affranchir (de la discipline budgétaire) ». Jean Pisani-Ferry ne les rappelle pas. Mais c’est bien du ni impôt, ni dette qu’il s’agit. Il est vraiment plus qu’improbable que des parties prenantes de la NUPES souscrivent à une telle politique, à la fois injuste et inefficace. Mais cela n’empêche pas Jean Pisani-Ferry de croire qu’elle puisse être acceptée. Et d’imaginer dans ce cadre les compromis que « les partis de gouvernement » pourraient élaborer.

Pour Jean Pisani-Ferry, il en faudrait un sur l’écologie avec les écologistes car ils « seront jugés sur un seul sujet : l’ambition climatique et, au-delà, l’ambition écologique du programme » et aussi avec LR, sans doute, parce que ce n’est pas du tout leur priorité. Et en même temps il en faudrait un autre avec les socialistes sur l’éducation et l’emploi, sans doute parce, symétriquement, c’est la seule chose qui compterait pour eux. Et parce qu’« entre les socialistes et le parti présidentiel, il peut y avoir de larges plages d’accord sur l’accès à l’éducation et au plein-emploi ».

Sur l’écologie, Jean Pisani-Ferry diagnostique que la France est « gravement en retard sur l’horizon d’une réduction de 50% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 » et qu’il faut donc accélérer et miser sur la sobriété. Il précise que le nucléaire « n’est pas un sujet à l’horizon 2030 ». Comme le programme d’Emmanuel Macron et donc d’Ensemble consisterait à accroître le renouvelable et à relancer le nucléaire, le compromis serait que … les autres s’y rallient. LR accepterait le renouvelable pour maintenant, et EELV la relance du nucléaire !

Sur l’éducation et l’emploi, Jean Pisani-Ferry admet qu’il y aura des « frottements » « sur l’autonomie des établissements, les salaires des enseignants, les réformes du marché du travail ». Mais prétend-il, « la finalité d’ensemble est commune, comme elle l’est d’ailleurs avec le PC et EELV ». « La question, ajoute-t-il, est de savoir si elle peut, d’un même mouvement, rassembler la droite ».

On est vraiment sur du Michel Blanc : « Vas-y fonce ! On ne sait jamais. Sur un malentendu ça peut marcher ! »

« La question de la sécurité et de l’immigration »

Mais ce n’est pas tout. Ce ne seront pas, admet Jean Pisani-Ferry, les seuls sujets de frictions. Et les compromis sur les autres sont encore plus difficiles à réaliser.

Il y a d’abord la fiscalité. Jean Pisani-Ferry alerte la Macronie, le pas d’impôts ne pourra pas tenir : « Face à l’accumulation patrimoniale et à la transition écologique, les seules réponses par l’égalité des chances ne sont plus convaincantes ». « Il suffit, ajoute-t-il, de s’adresser à un amphi d’étudiants pour réaliser combien l’inégalité est aujourd’hui devenue intolérable ».

Et il y a « la question la plus difficile : celle de la sécurité et de l’immigration ». L’usage du singulier est à lui seul tout un programme. Et la dérive de l’intellectuel respectable fait froid dans le dos : les clivages entre la gauche et la droite sur « la question » sont selon lui surtout « culturels ». « Ailleurs en Europe, les lignes ont commencé à bouger, mais pas beaucoup en France ». Et ce qui rend la tâche de compromis « presque impossible » c’est « la combinaison de traditions absconses (sic), des conflits culturels au sein de la gauche et de la surveillance vigilante, dont font l’objet le PS de la part de LFI et LR de la part du RN (resic) ».

Le texte de Jean Pisani-Ferry est donc à la fois très laborieux et très mauvais. Mais ce n’est pas lui seul qui est en cause. C’est la politique qu’il cherche à défendre et à construire. Rendez-vous au discours de politique générale d’Élisabeth Borne pour le vérifier.

 

Bernard Marx

Partager cet article

Actus récentes

Abonnez-vous
à notre NEWSLETTER
quotidienne et gratuite

Laissez un commentaire