TRIBUNE. Le massacre des prisonniers politiques de 1988 en Iran

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Après neuf mois de traitement d’une affaire très complexe, le parquet suédois a finalement requis la réclusion à perpétuité pour Hamid Noury, accusé d’avoir participé au massacre de prisonniers politiques en Iran en 1988.

Le monde a enfin appris la vérité sur les crimes odieux commis par le régime iranien en 1988. Le peuple iranien a enfin pu voir comment un procès équitable pouvait se dérouler, en contraste frappant avec la façon dont les victimes ont été traitées devant les comités de la mort de Khomeiny.

 

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Il reste encore de nombreux plaignants et témoins qui n’ont pas été entendus dans cette affaire. Amnesty International a appris de ses enquêtes précédentes qu’il existait de nombreux témoins importants des exécutions massives et du rôle d’Hamid Noury.

Des exécutions massives de prisonniers politiques ont eu lieu simultanément dans les prisons à travers l’Iran en 1988. Cela a commencé vers le 27 juillet dans la tristement célèbre prison d’Evin à Téhéran et a commencé le 30 juillet dans la prison de Gohardasht à Karaj, dans l’ouest de Téhéran. Les exécutions ont eu lieu en secret. Les gardiens de prison et les autres membres du personnel n’étaient pas autorisés à quitter les prisons ni à contacter d’autres personnes pendant les exécutions. Les corps des personnes exécutées ont été enterrés à la hâte pendant la nuit dans des fosses communes anonymes. Le régime n’a ménagé aucun effort pour garder secrète l’ampleur de ces exécutions massives.

Il n’y a pas de statistiques exactes sur le nombre d’exécutions mais le PMOI (Organisation des moudjahiddines du peuple iranien) estime qu’environ 30.000 prisonniers politiques ont été exécutés dans tout le pays lors du massacre de 1988. D’autres sources indiquent un nombre à peu près identique. Mehdi Khazali, analyste interne du régime de Téhéran, a déclaré que le chef adjoint du ministère du Renseignement avait lui aussi parlé de 20.000 exécutions. Quant à Reza Shemirani, qui a témoigné devant le tribunal de district de Stockholm, il a déclaré qu’il y avait entre 3500 et 4000 hommes et femmes exécutés dans la seule prison d’Evin à Téhéran, tandis que le massacre s’est étendu sur plusieurs mois dans tout l’Iran.

On sait à présent que le nombre d’exécutions à Evin était bien plus élevé qu’à Gohardasht et le nombre de survivants à Evin était bien inférieur par rapport au grand nombre de prisonniers qui s’y trouvaient.

Le témoin, Houshang Atyabi, a déclaré avoir vu 17 camions avec environ 50 corps chargés chacun dans le complexe pénitentiaire de Gohardasht lors des exécutions massives pendant les tueries. D’autres témoins et plaignants ont également rapporté avoir vu des camions remplis de corps.

Le PMOI a pu identifier et publier les noms de 5015 de ses membres qui ont été exécutés pendant le massacre. La liste a été publiée il y a quatre ans.

Le PMOI a publié des rapports selon lesquels le massacre a eu lieu dans 110 villes. Dans certaines villes, il n’y avait pas de survivants qui pouvaient témoigner du nombre d’exécutions.

Ce sont les comités de la mort qui ont prononcé les condamnations à mort. Les membres du comité de la mort de Téhéran qui opéraient également à Gohardasht ont été nommés dans la fatwa de Khomeiny. Dans le reste du pays, le PMOI a pu identifier environ 80 personnes qui faisaient partie des comités de la mort.

Les victimes des exécutions massives ont été enterrées dans des fosses communes. Les emplacements de 36 fosses communes sont répertoriés par le PMOI. Le régime fait tout ce qu’il peut pour détruire et dissimuler ces fosses communes y compris, parfois, en y érigeant des bâtiments pour cacher les preuves d’exécutions massives.

La fatwa de Khomeiny a servi de base aux exécutions massives

Khomeiny déclare explicitement dans sa fatwa que les PMOI étaient des Moharebs (belligérants contre Dieu) et des Mortad (apostats) et que quiconque adhère à leurs opinions devait être exécuté. En réponse à la question de son fils Ahmad sur la manière d’appliquer sa fatwa, Khomeiny a déclaré : « Écrasez les ennemis de l’islam aussi vite que possible ».

Le 26 octobre 1988, l’ayatollah Montazeri a commenté les exécutions qui ont eu lieu à l’époque : « L’exécution brutale de jeunes filles âgées de 13 à 14 ans qui n’ont pas pris les armes ni participé à des manifestations est alarmante et épouvantable », a-t-il déclaré.

Le PMOI représente un mouvement de réformes religieuses qui les a conduits à des conclusions politiques sur l’égalité entre les femmes et les hommes, le respect des minorités religieuses et ethniques et pour un État démocratique laïc. Ces positions religieuses et politiques menacent directement le système de Velayate Faqih qui considère les membres du PMOI comme des musulmans avec une opinion différente et les décrit comme des Moharebs qui devraient être exterminés.

Dans une allocution sur le sujet, le professeur Eric David, chargé de recherche au Centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles, affirme : « Il est évident que le crime commis en 1988 contre les 30.000 membres de l’Organisation des Modjahedine du Peuple Iranien est un crime contre l’humanité. Et on peut aller plus loin et dire que c’est en effet un crime de génocide parce que ces gens ont été tués en raison de leur appartenance à un courant de l’islam qui était contestée par le régime des mollahs. C’est donc pour des raisons religieuses, pour l’appartenance à une religion que ces gens ont été massacrés. Ils ont été considérés comme des apostats donc ça correspond parfaitement à la définition de l’article 2 de la Convention de 1948 sur le génocide ».

Geoffrey Ronald Robertson, premier président du Tribunal spécial des Nations unies pour la Sierra Leone, estime lui aussi que le massacre de 1988 en Iran pourrait constituer un génocide : « La raison principale est la guerre contre Dieu ». Moharab, c’est la raison, mais le PMOI s’est distingué du groupe de Khomeiny depuis sa création en raison de sa vision plus fondamentaliste de l’islam, et bien sûr le PMOI était plus libéral. Il est assez clair, quand on lit la traduction de cette fatwa, que la raison religieuse était le principal motif de ces exécutions. Et Khomeiny a continué, et c’est le chemin que Raissi a consciemment pris ensuite, et de son plein gré : « Il est naïf de faire miséricorde aux Moharabs, ceux qui font la guerre à Dieu. La détermination de l’islam face aux ennemis de Dieu est l’un des principes incontestables du régime islamique ». Voici donc une bureaucratie qui impose la peine de mort et poursuit : « Tuez-les avec fureur et rancœur révolutionnaires, ces ennemis de l’islam. Vous devez être plus cruels envers les infidèles ».

 

Hamid Enayat

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