Voter ou ne pas voter Macron ? Réponse à Bernard Marx

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Interpellé par notre chroniqueur Bernard Marx, au sujet du choix (ou plutôt du non-choix) qui s’offre aux Français lors du second tour de l’élection présidentielle, l’économiste Éric Berr lui répond.

Cher Bernard Marx,

Vous me faites l’honneur de m’écrire suite aux propos que j’ai formulés dans une série de tweets le 16 avril dernier. Je me permets donc de réagir à votre interpellation afin de préciser ma pensée, ce qui est toujours difficile à faire sur Twitter, et de répondre à certaines de vos remarques.

 

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Il n’y a pas trois façons responsables de voter au second tour

 

Tout d’abord, s’il ne semble pas avoir été trop difficile pour vous de glisser un bulletin Mélenchon dans l’urne lors du premier tour de l’élection présidentielle, je sais que certains électeurs qui votent traditionnellement pour le PS, EELV ou le PCF, ont pu accomplir ce geste avec plus de réticences, raison pour laquelle je leur réitère mes remerciements les plus sincères pour cet acte responsable qui a failli être payant.

Vous avez tout à fait raison de dire que ce sont les candidats PS, EELV et PCF qui ont appelé à voter Macron dès le soir du 10 avril et non leurs électeurs, contrairement à ce que ma formulation maladroite laisse entendre. Cela me permet de préciser que les candidats ne sont pas propriétaires des votes de leurs électeurs. Ils peuvent certes donner des consignes ou des indications. Comme vous le rappelez, Jean-Luc Mélenchon a été très clair en rappelant qu’aucune voix ne devait aller à Marine Le Pen. Ce n’est pas suffisant pour vous qui auriez voulu qu’il appelle à voter Macron. Nous sommes en désaccord sur ce point et je m’en explique.

Jean-Luc Mélenchon a passé son temps lors de cette campagne à s’adresser à l’intelligence des gens, ce n’était donc pas pour les traiter au soir du premier tour comme des enfants à qui il faudrait tenir la main pour aller voter au second tour. Si l’on a seulement retenu de son discours le passage où il répète qu’il ne faut pas donner une voix à Madame Le Pen, il a aussi précisé que « chacun se trouve mis au pied du mur de sa conscience », appelant à ne pas se laisser guider par la colère : « Ne vous abandonnez pas à ce qu’elle [la colère] vienne à vous faire commettre des erreurs qui seraient définitivement irréparables ». Je maintiens que s’adresser à l’intelligence, donc ne pas agir sous le coup de la colère, est plus efficace que les discours moralisateurs et culpabilisants, surtout quand ils s’adressent à celles et ceux qui ont le plus alerté sur le danger de l’extrême droite et l’ont combattue avec force. Voir les appareils des autres partis de gauche tenter de se racheter une virginité quand ils n’ont eu de cesse de saper la seule candidature à gauche qui avait une chance d’éliminer l’extrême droite dès le premier tour est assez difficile à entendre pour nombre d’électeurs de l’Union populaire. Il ne sert donc à rien de leur intimer l’ordre de voter pour Emmanuel Macron. J’ajoute que nombreux sont ceux qui ciblent l’électorat de l’Union populaire en oubliant que le danger d’une victoire de l’extrême droite vient pourtant plus du vote des électeurs de droite qui sont toujours plus nombreux à rejoindre l’extrême droite lepeniste ou zemmourienne.

Dans l’analyse que nous devons avoir, commençons par cibler les vrais responsables : Emmanuel Macron et son gouvernement, ainsi que la majorité des médias (ce qui ne s’applique pas à vous et à Regards). Emmanuel Macron est le premier coupable de la situation actuelle, à laquelle il a activement travaillé, bien aidé en cela par des médias complaisants, en normalisant le discours de l’extrême droite ou le reprenant même en partie à son compte, tout en renvoyant dos-à-dos Mélenchon et Le Pen. Tout cela a malheureusement conduit à minimiser le risque de l’extrême droite aux yeux de certains de nos concitoyens.

Il n’est donc pas anormal, comme le font Anne-Laure Delatte et Stefano Palombarini dans la tribune parue dans Libération à laquelle vous faites référence, de mettre Emmanuel Macron face à ses responsabilités en lui demandant de faire quelques concessions s’il veut obtenir le vote d’électeurs de l’Union populaire. Aucune tergiversation ici, juste la demande (qui n’est pas un préalable et n’implique aucun soutien pour lui) d’un geste à destination de ceux pour qui il est extrêmement douloureux de déposer un bulletin à son nom.

Beaucoup d’électeurs de l’Union populaire sont encore sous le coup de la colère de voir le piège de ce second tour évitable se refermer sur eux et les maintenir dans une impasse. Les culpabiliser pour une situation dont ils ne sont pas responsables n’arrangera rien.

Comme vous, je glisserai dans l’urne un bulletin Macron le 24 avril. Je le ferai car j’ai parfaitement conscience, comme de nombreux électeurs, du grand danger que représente l’extrême droite pour la démocratie, la liberté et le respect des valeurs humaines. Mais je le ferai avec rage et colère contre un président qui n’a pourtant cessé d’attaquer les libertés publiques, d’humilier et de mépriser les plus humbles, de détruire les services publics tout en n’agissant pas contre le changement climatique, et qui continuera dans cette voie s’il est réélu. Cependant, en aucun cas je ne condamnerai ceux qui, rejetant l’extrême droite, ne pourraient se résoudre à faire le même choix que le mien.

Vous comme moi, cher Bernard Marx, pouvons peut-être plus facilement nous permettre ce geste car, ayant une position sociale plus confortable que la majorité de la population, nous ressentons peu, ou moins, les effets délétères de la politique d’Emmanuel Macron sur notre vie quotidienne, même si, en ce qui me concerne, il continuera de détruire ce bel outil de travail qui est le mien, l’université.

Je demande toutefois à chacun de comprendre qu’il peut être très difficile pour quelqu’un qui a subi l’arbitraire de la répression violente des mouvements sociaux, en particulier celui des gilets jaunes, qui s’est vu humilié et méprisé pendant cinq ans et a durement ressenti dans sa vie quotidienne les effets des politiques injustes de Macron, de se résoudre à voter pour son bourreau, même s’il rejette l’extrême droite. Plutôt que d’être stigmatisées, ces personnes doivent être comprises car elles seront à nos côtés dans les luttes que nous aurons à mener au cours du prochain quinquennat. Ne nous trompons pas d’ennemi. Les responsables de la situation actuelle sont ceux qui votent pour l’extrême droite et ceux qui lui ont fait la courte échelle.

Bien à vous,

 

Éric Berr

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