Face à la guerre en Ukraine, l’insoutenable légèreté du banquier central

Cette chronique sur l’incroyable François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, vous est offerte par Bernard *Mad* Marx.

MAD MARX. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, vient de donner successivement trois interviews : le 11 mars à BFM Business, le 12 à France Inter, le 14 au Parisien. Il minimise dangereusement les enjeux de la guerre livrée par l’armée russe en Europe et campe sur une doxa de banquier central qui a déjà provoqué le malheur de la Grèce et une décennie perdue en Europe. C’est inquiétant.

 

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Le gouverneur de la Banque de France, explique le Parisien en préambule de son interview, « tient à rappeler la totale indépendance de l’institution qu’il dirige ». Et il a tenu à redire sur France Inter que « notre mandat [de la Banque centrale européenne, NDLR] est d’assurer le retour à la stabilité de prix ».

Et ça tombe bien : alors que la guerre d’agression de la Russie fait rage en Ukraine, « dans tous les scénarios, l’inflation reviendrait autour de 2% d’ici 2024 ». Cela, insiste-t-il, « je veux le souligner comme un élément de confiance ». 2%. Forcément 2% ; puisque « autour de 2% » est la cible de stabilité des prix que la BCE s’est donnée à elle-même.

En réalité ce que le gouverneur Villeroy de Galhau veut à tout prix démontrer c’est que, guerre en Ukraine ou pas, il ne faut pas changer le cours anticipé de la politique monétaire ni en France, ni en Europe : le temps de la « normalisation » est venu.

Une grave sous-estimation des enjeux

Face à l’inflation revenue avec le choc du covid, la présidente de la BCE, Christine Lagarde a annoncé le 10 mars, drapeau ukrainien à la boutonnière, « le resserrement de sa politique monétaire ». L’arrêt du programme de rachat d’obligations au troisième trimestre constituera la première étape d’une normalisation et de la fin de la politique monétaire de soutien à l’économie de la zone euro. Dit autrement, la BCE est en passe de retirer son soutien aux dettes publiques des États membres. Et face à l’inflation qui est en train de redoubler d’intensité, elle s’apprête à faire retour à la politique bête et méchante qui prétend combattre l’inflation en diminuant la demande par le resserrement des conditions de financement des États et du crédit en général. Une politique qui a pourtant fait la preuve de sa nocivité en 2010-2011 après le choc de la crise financière en 2008.

Pour se justifier, le gouverneur affirme : « L’effet Ukraine sera bien moindre sur les finances publiques que l’effet covid ». Il surligne : « La situation ne justifie pas un « quoi qu’il en coûte » général comme en 2020 ». Et il retape le clou, assurant qu’il faudra appliquer un plan de dix ans de déflation budgétaire : « Une fois sortie de ce choc, la France, qui a le niveau de dépenses publiques le plus élevé d’Europe, doit se donner sur dix ans un cap pour réduire sa dette publique ». Foi de banquier central indépendant.

Pour preuve de son diagnostic, François Villeroy de Galhau se réfère à deux scénarios produits par l’institution qu’il gouverne. Le premier, dit « conventionnel », « s’appuie sur des hypothèses figées au 28 février »… C’est-à-dire trois jours seulement après le déclenchement de l’invasion, alors que l’on ne savait rien de son évolution. Inutile d’en dire plus. Ce scénario qui nous raconte l’histoire d’une guerre comme une courte parenthèse, qui n’entraîne ni sanctions, ni dégâts, ni changements durables, est d’une stupide (ou cynique) indécence.

Ce que le gouverneur de la Banque de France veut à tout prix démontrer c’est que, guerre en Ukraine ou pas, il ne faut pas changer le cours anticipé de la politique monétaire ni en France, ni en Europe.

Reste donc le second scénario, dit « dégradé ». Il est plus réaliste, mais jusqu’à un certain point seulement. Il prévoit que les tensions actuelles sur les prix du pétrole et du gaz vont durer jusqu’en 2024. Il intègre aussi les tensions sur les prix d’autres matières premières et notamment du blé, du mais et des engrais. Ainsi que les répercussions des incertitudes sur la consommation et les investissements privés. Dans ce scénario « dégradé » la croissance serait nulle d’ici la fin de l’année. Elle repartirait néanmoins dès 2023 à hauteur de 1,3%. Et l’inflation serait de 4,4% cette année. Mais l’on repasserait sous les 2% au début de 2023. CQFD.

Ces estimations sont cependant tout à fait incertaines et impropres à fonder une politique monétaire et encore moins une politique sociale, économique et budgétaire.

Le scénario de la Banque de France n’envisage ni que la guerre de la Russie dure avec des destructions humaines et matérielles de plus en plus considérables, ni qu’elle se termine plus vite mais plus mal par la réalisation de tout ou partie des buts de guerre de Poutine. C’est-à-dire sans retour à une situation réellement pacifique en Europe.

Le scénario « dégradé » ne l’est, en réalité, pas tant que cela. Ainsi, il n’évoque un éventuel arrêt des importations européennes de produits énergétiques russes que pour souligner que « cela pourrait, notamment, entraîner une poussée inflationniste encore supérieure à celle que nous envisageons ici, ou même une crise économique et financière mondiale ». Est-ce pour mieux en repousser la mise en œuvre ?

Effectivement un embargo sur l’énergie russe aurait des conséquences économiques encore plus massives que les sanctions actuelles. Cela « coûterait », selon l’économiste Éric Heyer, 2,5 points de PIB à l’Allemagne et 1 point de PIB à la France. Patrick Artus a pour sa part évalué les conséquences d’un tel embargo pour l’ensemble de la zone euro : la perte de PIB pourrait être de en 2022 de 3 à 4 points et le supplément d’inflation de 4 à 5 points.

Ce n’est pas une bonne raison pour ne pas le faire, alors que l’invasion russe continue et que l’on constate que la poursuite de ces importations permet de contourner le gel des réserves de change de la Banque centrale de Russie. Une mesure dont le gouverneur Villeroy de Galhau a tenu à souligner que « c’est probablement la sanction qui a frappé le plus fort ».

Bien entendu le creusement du déficit budgétaire ne doit pas être la seule réponse. On peut taxer les superprofits de Total et des autres entreprises bénéficiaires des énormes hausses de prix du pétrole, du gaz et des autres produits de base. On peut chercher l’argent des oligarques russes (mais pas que le leur) là où il est, notamment dans les paradis fiscaux.

Mais en tout état de cause, la Banque centrale et son gouverneur devraient se dire prêts à accompagner, non pas un plan décennal de régression des dépenses publiques, mais son contraire. Pour financer « quoiqu’il en coûte » les ménages et les secteurs pénalisés par les conséquences économiques de la guerre. Et pour financer en France et en Europe une transition énergétique à marche forcée afin de se passer du gaz et du pétrole russes et des énergies fossiles en général. Ce serait un élément de confiance.

 

Bernard Marx

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