La Disparition : un nouveau média… épistolaire

La Disparition se veut un « média épistolaire et politique qui chronique les disparitions en cours dans notre monde ». Kézako ? On en cause avec sa red’ cheffe Annabelle Perrin.

Annabelle Perrin est journaliste, cofondatrice et rédactrice en chef de La Disparition.

 

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Regards. Vous venez de lancer un nouveau « journal », ou plutôt une lettre, envoyée aux abonnés dans une enveloppe kraft, à l’ancienne : La Disparition. Un truc un peu bizarre, pas franchement dans l’air du temps, mais qui à l’air vraiment cool. Dites-nous-en plus…

Annabelle Perrin. Pendant le premier confinement, on a eu envie de lancer un média. Au début, on imaginait un média qui raconterait la France si elle était amputée de quelque chose qui la compose aujourd’hui : la France sans armée, sans exception culturelle, sans hôpital public… Un truc un peu dystopique, une sorte de mise en garde : attention, la SF peut vite devenir réalité. Puis on s’est dit que c’était trop compliqué pour le lecteur de se projeter. Et tout d’un coup, un élément déclencheur : l’attestation de déplacement. On s’est dit « OK, à situation exceptionnelle décision exceptionnelle ». Mais on a constaté que du jour au lendemain, sur décision d’un gouvernement, on pouvait nous empêcher de nous déplacer, nous restreindre à une heure par jour de liberté contrôlée par la police. Et les Français l’ont accepté sans broncher. On a réalisé que des choses majeures pouvaient disparaître. C’est comme ça qu’est venue l’idée de « disparition ». On a d’abord voulu faire un site Internet, mais à la fois c’était paradoxal – car ça ne disparaîtra jamais. Et puis qui veut aller sur un site qui fait l’inventaire des disparitions… Qu’est-ce qui disparaît ? La presse papier, la correspondance. Voilà comment est venue l’idée d’un média où un journaliste écrit une lettre, à la première personne, qu’on enverrait directement aux lecteurs. La première arrivera dans quelques jours dans les boîtes aux lettres. Il ne faut pas se laisser méprendre par la forme de la lettre. C’est un travail d’enquête, de reportage, qui n’empêche pas un propos politique.

 

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La première lettre traite de la disparition du Socotra, un « arbre-dragon ». Mais what the fuck ?

On pourrait penser que la disparition de cet arbre est anecdotique ! Que ça n’intéresse que quelques chercheurs et les habitants de l’île. Mais raconter cette histoire, c’est justement donner de la valeur à ce que l’on assigne à l’inutilité. En s’engageant pour la préservation du dragonnier, ou de toute autre espèce, on refuse de céder le terrain à un monde prédateur qui fait disparaître ce qui ne lui sert pas, ce qui n’a pas de valeur marchande ! On change de rapport au vivant et donc aux autres. Corinne Morel-Darleux parle de « dignité du présent ». Si on pense que les combats à mener sont justes, il faut les mener, même s’ils sont perdus d’avance.

« Derrière toute disparition, il y a une décision politique qui s’impose à nous. Souhaitons-nous lutter contre cette disparition ou la provoquer, l’accentuer ? Avec en toile de fond : quel monde commun voulons-nous construire ? »

Quelles sont vos prochaines disparitions ?

Il va y avoir deux lettres du journaliste Julien Brygo sur la disparition du BCMO (Bureau central main d’œuvre, à Dunkerque). C’est un bâtiment où les dockers, qui avait un statut proche de celui des intermittents du spectacle, venaient chercher du travail – et ils étaient payés même s’il n’y en avait pas. Ce lieu le BCMO, c’était leur quartier général, le travail, les manifs, les bouffes, la vie quoi. Puis il y a eu une contre-révolution libérale dans les années 90 et en 2004, le BCMO a été rasé. Depuis, il n’y a plus de grèves au port Dunkerque. La disparition de ce bâtiment, c’est la disparition de la lutte syndicale de gauche dans ce port. C’est plus qu’un simple bâtiment, c’est un endroit de politisation, un lieu de lutte, d’amour

Vous allez faire une lettre sur la disparition de la gauche ?

La politique politicienne ne nous intéresse pas. Si on tombe là-dedans, notre promesse est rompue. Il y en a déjà suffisamment dans les médias. On pense, au contraire, que la politique se loge dans tout ce qui nous entoure. Faire de la politique c’est parler d’idées, de luttes, de présent et d’avenir. C’est œuvrer pour changer les choses, modestement. Ce n’est pas de savoir si untel a déjeuné avec bidule qui propose une alliance à trucmuche. Le récit de ces coulisses participe à une dépolitisation du journalisme. Et puis, il me semble que derrière toute disparition, il y a une décision politique qui s’impose à nous. Souhaitons-nous lutter contre cette disparition ou la provoquer, l’accentuer ? Avec en toile de fond : quel monde commun voulons-nous construire ?

 

Propos recueillis par Loïc Le Clerc

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