Bien installé à la tête du PC, l’on se demande de quoi Fabien Roussel est-il le nom ? Quelles cohérences et quelles limites y a-t-il à son projet ? Et quelle place à gauche, et « au-delà », pour les communistes ?
Le 39ème congrès du PCF s’ouvre à Marseille ce vendredi 7 avril. Le texte d’orientation parrainé par Fabien Roussel avait déjà recueilli, à la fin janvier, près de 82% des 29 000 suffrages militants exprimés. Il est la « base commune » que les délégués discuteront et amenderont, et sur lequel ils se prononceront in fine.
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Une organisation active, mais affaiblie
Quatre ans après son accession inattendue au poste de secrétaire national, Fabien Roussel sera une nouvelle fois adoubé par le Congrès. Il s’est fait une place dans le paysage politique national, en se situant aujourd’hui dans le haut du tableau des indicateurs de confiance. Pour le baromètre des leaders politiques publié par Ipsos, à la fin février 2023, il occupait la 13ème place, loin derrière le duo de tête (Édouard Philippe et Marine Le Pen), mais juste derrière Jean-Luc Mélenchon, avec 25% d’opinions favorables. Et c’est bien à gauche qu’il obtient son pourcentage le plus élevé (44%), loin devant le centre et la droite (19% et 23%).
Chacun sait, bien sûr, que l’image ne fait pas automatiquement le vote. Un récent sondage législatif de l’Ifop, évoquant l’hypothèse d’une gauche divisée face à une éventuelle dissolution, laissait le PCF à un niveau modeste de 3%, derrière LFI (11%), EE-LV (9%) et le PS (7%). Mais l’actuelle direction peut aussi se réclamer d’un sondage présidentiel qui attribue à Roussel une fourchette de 5% à 6,5%, contre 18 à 20% pour Mélenchon, 3% à Faure et 1% à Marine Tondelier.
On retiendra donc la double réalité d’une image de leader plutôt favorable et d’une assise électorale maintenue dans sa portion congrue. Le numéro un du parti reste à la tête d’une organisation active, toujours localement implantée, mais nationalement affaiblie. Depuis 2018, les effectifs ont continué de se tasser (42 000 cotisants, soit 7 000 de moins qu’à l’arrivée de Roussel à la tête du parti) et les élections de 2019 à 2022 ont confirmé l’étiage électoral d’un parti qui oscille entre 2% et 3% dans les scrutins nationaux. Le communisme municipal s’est contracté, ainsi que le vivier des élus communistes, estimé officiellement à 6500 aujourd’hui.
Projet politique : cohérences et limites
Quel est le cœur de la proposition politique portée par le Secrétaire national ? La réaffirmation d’un « projet communiste » reste « l’horizon civilisationnel » qui définit l’identification ultime du parti. Pour le faire vivre, l’objectif immédiat assigné à l’organisation est la reconquête des milieux populaires, qui boudent toujours la gauche, qui s’abstiennent massivement ou qui se tournent vers l’extrême droite. Pour la base commune, cela implique de mettre au centre les grandes questions du travail et de la démocratie. Stratégiquement, l’urgence désignée est celle d’un rassemblement, à gauche et « au-delà » de la gauche, donc au-delà de la Nupes. Mais, selon la direction, pour rendre effective cette exigence de rassemblement, le PCF doit retrouver la place qui fut la sienne et qu’ont érodée ses absences répétées à l’élection présidentielle. À cet effet, l’essentiel proposé aux militants est de relancer la dynamique locale des cellules et de réamorcer l’implantation dans les entreprises. Le « renouveau du communisme » passerait donc par un retour à des « fondamentaux » oubliés.
On ne discutera pas ici d’une cohérence globale qui n’est pas moins légitime que d’autres, installées elles aussi dans le champ de la gauche. Mais on peut en même temps relever des points discutables, que révèle la mise en œuvre qui en a déjà été faite dans la période récente.
Il est difficile de vouloir gagner des forces au-delà de la gauche et de commencer en multipliant les piques contre les forces avec lesquelles on veut passer alliance. La formule actuelle selon laquelle la Nupes est dépassée est redoutable.
Par exemple, il est incontestable que la conquête des suffrages populaires est une question majeure, relevant de l’éthique démocratique tout autant que de l’intérêt politique. Mettre l’accent sur l’enjeu du travail, de sa densité, de son ampleur et de son sens, est en cela d’autant plus souhaitable que la gauche s’en est trop exclusivement tenue aux problèmes de l’emploi. Mais quand, pour illustrer son propos, le secrétaire national a critiqué « la France des alloc’ », il a mis aussitôt le pied sur un terrain miné.
Sans doute explique-t-il qu’il a voulu opposer à la France qui s’accommode des allocations compensatoires à celle des salaires. Mais dans un moment de pression intense de la droite et plus encore de l’extrême droite, alors que domine la colère contre « l’assistanat », jusque dans les milieux populaires, le risque est pris que la mise en cause des allocations ne se retourne en dénonciation des allocataires. On pense limiter le champ de l’extrême droite : il peut, à rebours, s’en trouver conforté, en avivant la logique meurtrière du « bouc émissaire ».
Des gauches qui se distinguent et qui doivent coexister
Il en est de même du discours sur la gauche. Fabien Roussel répète à l’envi que son objectif est de parler aux Français, qu’il veut rassembler la gauche et même aller au-delà de la gauche. On peut penser que son propos s’inscrit dans une tradition du communisme français, celle qui ne sépare pas l’affirmation de la nécessaire rupture de celle de la recherche des majorités, sans lesquelles rien de solide n’est possible. Mais une grande partie de la campagne de Roussel (entre autres, les polémiques qui ont fait date sur la viande et les barbecues…) avait pour but de marquer « l’identité » communiste par la distinction avec les écologistes et, plus encore, avec la France insoumise.
Il est difficile de vouloir gagner des forces au-delà de la gauche et de commencer en multipliant les piques contre les forces avec lesquelles on veut passer alliance. La formule actuelle selon laquelle la Nupes est dépassée est redoutable. Veut-on dire par-là que la Nupes en elle-même n’a plus de raison d’être ? Ou discute-t-on la manière dont fonctionne cette Nupes, sa façon de travailler, le respect ou la méconnaissance de ses équilibres ? Souhaite-t-on quitter la Nupes, ou seulement souligner qu’il faut prendre le temps de transformer l’objet politique existant, pour qu’il puisse perdurer et qu’il puisse être utile à ce « peuple » dont on se réclame volontiers ? La formule de la « Nupes dépassée » ne le précise pas. Il est vrai que les formules raccourcies font le buzz. Mais est-ce toujours la gauche qui en tire bénéfice ?
Nul ne peut bien sûr ignorer que les partenaires de la Nupes n’ont pas toujours été bienveillants à l’égard des militants communistes. Jean-Luc Mélenchon s’est à plusieurs reprises complu à tenir des propos pour le moins indélicats à leur égard. Mais, quand bien mène on ne courbe pas l’échine, faut-il répondre à la polémique par la polémique ? La direction du PC veut-elle contrarier l’habitude d’ériger des murs ? La préoccupation serait louable, à condition qu’elle n’ouvre pas la voie à la confusion et aux retournements d’alliance.
Il y a, dans ce qui porte aujourd’hui les militants vers le discours de la direction, une demande de dignité et de fierté communistes qui doit être respectée. Mais il y a aussi, dans l’obsession du maintien de « l’identité », quelque chose qui peut conduire dans l’impasse.
La gauche est diverse et ses oppositions ne sont pas de détail. Une partie d’entre elle est plutôt sensible au désir de rupture, une autre à la recherche de compromis dans le cadre du système. Il est dès lors possible de préférer une sensibilité plutôt qu’une autre. Rien n’empêche d’estimer que l’accommodement, sans la pression d’un pôle de rupture, vire trop facilement à la compromission et au renoncement. Mais, en sens inverse, on peut aussi considérer que la passion de la rupture, si elle n’est pas canalisée, risque de conduire au dérapage et le plus souvent à l’échec. Ainsi, si l’inégalité durable n’est pas envisageable sans rupture avec l’ordre existant, nulle rupture ne peut advenir sans majorités pour la conduire et donc sans rassemblement de toute la gauche pour faire majorité. Quel que soit le choix fondamental que l’on fait, les deux affirmations devraient se penser en même temps. Que le PCF estime excessive la place occupée par la France insoumise dans le fonctionnement de la Nupes peut s’entendre. Mais à vouloir prendre des distances avec la Nupes, il peut contribuer à redéplacer vers la droite le point d’équilibre de toute la gauche. Ce serait alors un pas en arrière.
Si Roussel a séduit par son allant et son franc-parler populaire, il est tout aussi vrai qu’il a pu inquiéter une part de la gauche par de redoutables ambiguïtés. Par exemple, se réclamer de la nécessaire autorité est une chose, mais ignorer que l’excès d’autorité peut nier la légalité et la liberté est une légèreté. Dire qu’il est nécessaire de respecter une police qui s’ancre scrupuleusement dans les valeurs de la République est envisageable ; ce l’est moins de défiler avec ceux-là mêmes qui, dans les forces de police, militent pour un extrémisme sécuritaire qui les rapproche directement des extrêmes droites les plus virulentes.
De même, on pourrait se dire qu’il n’y a aucun problème à se réclamer d’une « gauche républicaine » : la gauche et la République ne sont-elles pas nées du même désir d’émancipation ? Mais quand l’hégémonie des droites les moins républicaines conduit une partie des républicains, à l’instar d’un Manuel Valls, à se réclamer de la République, de la laïcité ou encore de l’universalisme, pour nourrir des pratiques publiques et des discours discriminatoires et excluants, alors on peut s’inquiéter d’un usage volontairement non critique des mots, comme un clin d’œil douteux à ce que l’on doit contester et non pas flatter.
Un retour aux fondamentaux ?
Il y a, dans ce qui porte aujourd’hui les militants vers le discours de la direction, une demande de dignité et de fierté communistes qui doit être respectée. Mais il y a aussi, dans l’obsession du maintien de « l’identité », quelque chose qui peut conduire dans l’impasse.
C’est ainsi que les communistes en sont arrivés à la conviction que la décision de ne pas présenter de candidat communiste – en 1965, 1974, 2012 et 2017 – avait affecté la visibilité du parti, altéré sa dynamique politique et nourri son déclin électoral. Il était pourtant facile de constater que, quel que soit le choix communiste, que le PC soit présent ou non à la joute présidentielle, le recul électoral communiste a été continu, à l’exception d’une brève et timide rémission en 1995 (Robert Hue tutoyant les 10%).
De même, l’imaginaire militant s’est souvent plu à considérer que l’ère des difficultés s’était accentuée, à la charnière de deux siècles, avec la « mutation » engagée par le numéro un de l’époque Robert Hue. L’observation rétrospective attentive conduit à l’idée que le processus de mutation fut erratique et peu cohérent. Il s’est en outre accompagné d’une gestion politique globale qui, au sein de ce que l’on appela la « gauche plurielle », avait entraîné le PCF dans les déboires d’une gauche happée peu à peu par le « social-libéralisme ».
La créativité et l’utilité du PCF sont désormais entre les mains de ses militants, comme ils le sont entre les mains celles et ceux qui se réclament du communisme sans être dans ses rangs. Toutes et tous sont des composantes de la gauche : ils ne doivent pas l’oublier ; la gauche ne peut pas l’oublier.
Mais au lieu de mettre en cause la gestion brouillonne de la mutation et la pauvreté de ses soubassements stratégiques, c’est la mutation en elle-même qui fut désignée comme la cause de tous les maux. « On » a détruit les cellules, « on » a abandonné l’entreprise, « on » a renoncé à l’identité du parti. C’était oublier que la grande expansion de l’organisation politique à l’entreprise n’a été effective que pendant une période relativement brève (les années 1960 et 1980) et qu’auparavant l’influence communiste dans le monde du travail passait plutôt par la présence communiste militante dans les syndicats. C’était ignorer que le recul des cellules d’entreprise a commencé dès la seconde moitié des années 1980, quand Georges Marchais était encore secrétaire général du parti. C’était laisser dans l’ombre que le recentrage sur les sections ne faisait qu’entériner le recul de fait de la vie des cellules, en même temps que disparaissaient les modes de socialisation qui avaient structuré l’histoire ouvrière en longue durée. La mise au second plan des cellules était le constat d’un fait ; il n’en était pas la cause.
Le désir de retravailler au plus près de l’expérience populaire, le souci de réinsérer le politique dans l’espace du travail moderne, comme dans celui de la cité : tout cela est louable. Mais le risque est toujours de remplacer le devoir de reconstruction et donc de refondation politique par le retour nostalgique à ce que l’on a connu – directement ou par la mémoire militante. Les communistes vont procéder à une modification non négligeable de leurs statuts. Il reste à espérer pour eux que ces modifications se raccorderont à des modifications plus ambitieuses des pratiques et de la culture politique des communistes.
Au total, le Congrès communiste se tient à un moment inédit, où se déploie une mobilisation sociale sans précédent par sa durée et son intensité, mais où l’horizon est obscurci par l’absence de perspective politique et par la montée inquiétante des options de la droite extrême. Or, cela se produit dans une conjoncture où la gauche, mieux armée sur le plan de la représentation parlementaire, se trouve en même temps électoralement minorée.
Le PC n’occupe plus, dans le dispositif de la gauche, la place majeure qui fut la sienne pendant quelques décennies. Ses responsabilités sont en cela objectivement moindres que celles de la France insoumise, qui domine à ce jour l’espace global de la gauche française. Mais ce Parti communiste est le dépositaire d’une histoire populaire et révolutionnaire, dont il n’a jamais eu le monopole, mais qu’il a fait vivre de façon originale, pour le meilleur comme pour le moins bon. Il a en cela un rôle à jouer. Sa créativité et son utilité sont désormais entre les mains de ses militants, comme ils le sont entre les mains celles et ceux qui se réclament du communisme sans être dans ses rangs. Toutes et tous sont des composantes de la gauche : ils ne doivent pas l’oublier ; la gauche ne peut pas l’oublier.