Immigration : « Le monde de Darmanin n’est heureusement pas le monde des Français »
Benoît Hamon, directeur général de SINGA, est l’invité de #LaMidinale.
UNE MIDINALE À VOIR…
ET À LIRE…
Sur le projet de loi Immigration
« La première chose qu’il faut dire, c’est que c’est le 21ème texte en 30 ans sur le même sujet. Ce qui veut donc dire que les précédents textes ne sont pas parvenus à atteindre les objectifs qu’ils auraient assignés. Or, les objectifs, invariablement, sont à peu près les mêmes. C’est qu’il y a une croyance aujourd’hui qui est dominante dans la classe politique, c’est qu’on peut faire sans l’immigration et qu’on peut. Et on doit. En tout cas, c’est ce que prétend Gérald Darmanin : renforcer les conditions pour obtenir un titre de séjour, donc rendre plus difficile la possibilité d’une immigration légale et rendre plus difficile aussi les conditions de vie des étrangers en les rendant un peu suspects d’à peu près tout, puisque on va aujourd’hui avoir une politique à travers ce texte qui, au prétexte qu’il existe des délinquants, au prétexte qu’il existe des étrangers qui sont auteurs de crime, généralise la suspicion et, finalement, précarise et rend plus vulnérables l’ensemble de la population étrangère ou immigrée en France. Concernant les obligations de quitter le territoire français, qui sont devenues une sorte de totem à droite et à l’extrême droite, Gérald Darmanin échouera. Pourquoi ? Parce qu’il y a trop d’OQTF qui sont délivrées, ce qui ne se passe pas du tout de la même manière, par exemple en Allemagne, qui sert souvent d’exemple à l’actuel gouvernement ou à son prédécesseur pour toute une série de sujets, sauf sur la question de l’inclusion. On voit par exemple qu’en Allemagne, quand il y a une infraction constatée aux titres de séjour, dans 60% des cas, il y a une régularisation parce que ces personnes ont un travail. Et donc les 40% qui restent, on délivre l’équivalent d’une OQTF et le taux d’exécution est bien meilleur. Il y a une préférence aujourd’hui en France pour l’expulsion, pour l’exclusion, là où il y a une préférence pour l’inclusion et la régularisation en Allemagne, et les résultats ne sont pas du tout les mêmes – et on constatera que l’extrême droite est beaucoup moins forte en Allemagne qu’elle ne l’est en France. »
Sur l’article 3, qui propose de régulariser les travailleurs sans papiers dans les secteurs en tension
« Il faut qu’on relativise. D’abord, c’est un titre de séjour temporaire d’un an dans des métiers, pas dans des secteurs en tension. Dans la restauration, dans les cuisines, à la plonge, dans le secteur du bâtiment, il y a beaucoup de gens qui sont des travailleurs sans papiers qui ne vont pas être régularisés, parce que ces secteurs ne sont pas jugés en tension. Pourquoi ? Justement parce qu’il y a des travailleurs sans papiers. Il n’y a pas besoin aujourd’hui de régulariser. Aux yeux de la loi, ce sont certains métiers, des métiers de technicien, d’ingénieur qui, au sein du secteur, par exemple du bâtiment, pourront faire l’objet de régularisations. Donc, on parle de quelques milliers, peut-être une dizaine de milliers de régularisations. Là où le raisonnement du gouvernement devrait être, puisque quelqu’un travaille, c’est qu’il répond à un besoin. Si ce besoin existe et que cette personne qui travaille en l’occurrence en plus est déclarée, elle paye des cotisations, elle paye des impôts et elle devrait être régularisée. Parce que la grande hypocrisie, c’est qu’il y a une administration qui traque les étrangers en situation irrégulière pour les expulser et une autre administration qui n’a aucun problème avec ça : l’administration fiscale qui, elle, collecte de l’impôt, des cotisations sociales, de gens qui n’ont pas de titre de séjour mais ont des fiches de paye et cotisent. Je crois à la régularisation de tous les travailleurs sans papiers puisqu’en réalité, s’ils travaillent, c’est qu’ils répondent à un besoin. De surcroît, ils contribuent au financement de nos systèmes de solidarité et donc devraient faire l’objet d’une régularisation – et pas simplement de mettre en place un mécanisme qui va être une usine à gaz absolument invraisemblable. »
Sur la régularisation de l’ensemble des sans-papiers qui sont sur le territoire français
« Ce n’est pas la position de Singa aujourd’hui, même si on est aujourd’hui dans une approche qui est une approche de l’hospitalité, de l’accueil, qui n’a rien à voir avec ce que peut proposer le gouvernement. Il y a des réalités. Une des réalités, c’est que la population active va chuter de 8% d’ici 2050, ce qui pose un problème majeur de financement de nos mécanismes de solidarité, de la protection sociale. Ce qui pose un problème de survie de nos services publics dont dépend des parts entières de notre territoire et qui devrait nous amener à dire que si nous voulons conserver nos modes de vie, nous aurons besoin de l’immigration. Quand on choisit la migration, c’est parce que ce que le pays dans lequel vous vivez ne vous offre que la perspective de vivre mal, de vivre pauvre et de ne pas pouvoir offrir à vos propres enfants un destin meilleur que le vôtre. C’est pour ça qu’on prend ses valises et qu’on prend le chemin de l’exil. Et quand on arrive ici, on y arrive riche d’un talent, d’un potentiel. Est-ce qu’on sait, par exemple, que 31% des immigrés ont le niveau de licence quand c’est le cas de 19% des Français ? Donc, il y a un niveau de qualification qui en fait une richesse et un potentiel considérable pour les pays d’accueil. Et pour autant, le réflexe qu’on va avoir vis à vis d’eux, c’est de dire qu’on n’en a pas besoin, de regarder ce qui leur manque et pas ce qu’ils apportent. D’abord le réflexe d’exclusion. Nous, nous considérons que sur les migrations en général, nous devons avoir un réflexe d’inclusion, de voir de quelle manière aujourd’hui, la société d’accueil et le nouvel arrivant peuvent tirer bénéfice de cette rencontre et sortir de ce mythe issu de l’héritage colonial français, celui de l’assimilation. J’entends beaucoup aujourd’hui dire qu’un bon étranger est un étranger qui s’assimile. D’abord, l’assimilation, c’était le vocabulaire, les mots de l’administration coloniale. Les migrations, c’est un fait indiscutable, dire qu’on est pour ou contre les migrations, c’est aussi absurde que de dire que je suis pour ou contre le soleil. Le seul débat, c’est où mettons-nous notre énergie ? Est-ce qu’on la met aux frontières pour ériger des murs, des murs de barbelés et des murs physiques, des murs administratifs, des murs réglementaires ? Ou est-ce qu’on met en place cette énergie à inclure ? Il faut quand même dire qu’on n’est pas que mauvais. La preuve, quand on a dû accueillir 100 000 Ukrainiens. Qu’a fait l’État ? Il a coordonné les associations, les collectivités locales, les entreprises pour s’assurer que ces Ukrainiens, avec un titre de séjour, pourraient avoir accès à la formation, à l’emploi et au logement. Pas un Ukrainien ne dort dehors, ce qui n’est pas le cas des Afghans, des Syriens, des Érythréens. Donc on est parfaitement capable de faire. On est parfaitement capable d’avoir une politique d’inclusion, de coordonner les acteurs. J’entendais Edouard Philippe dire ‘On n’est pas capable de…’, ce n’est pas vrai. C’est exactement le contraire. Et j’ajouterai que si on regarde encore de l’autre côté du Rhin, l’Allemagne accueille en 2015 1 million de Syriens, quand on en accueille 36 000. L’Allemagne accueille 1 million d’Ukrainiens quand on n’en accueille à peine 100 000 et l’Allemagne réussit pour 2 millions de personnes l’inclusion dans le tissu social et économique allemand, pourquoi on ne serait pas capable de faire ça ? »
Sur l’idée que les Français ne seraient majoritairement opposés à l’immigration
« Je pense que les Français sont beaucoup moins réacs que leurs dirigeants. Le portrait que dessinent les sénateurs LR ou d’extrême droite, voire même parfois des membres de la majorité présidentielle, d’une France favorable aux sociétés closes n’est pas un portrait juste. Fourquet donne des chiffres sur le fait que les gens ne veulent pas plus d’étrangers. Et Piketty lui répond ‘Mais ils sont quand même d’accord pour dire pour trois quarts d’entre eux que l’immigration enrichit la France’. Donc il y a quelque chose qui relève du paradoxe, c’est qu’on sait que l’immigration enrichit. On y voit plutôt le bénéfice que les problèmes. Et en même temps, on ne veut pas plus d’étrangers. Pourquoi ? Parce qu’il y a profondément dans notre société des angoisses qui peuvent être des angoisses identitaires liées à la fragilité de nos modes de vie. Et si on va sur ce terrain-là – et dont il ne faut pas avoir peur, notamment quand on est de gauche – et qu’on regarde cette insécurité qui est celle de bon nombre de Français, il y a une transformation indiscutable des paysages, il y a une transformation de nos cadres de vie. Un certain nombre de repères que nous avions et dont on attribue à l’immigration qu’elle serait responsable de ces transformations. Pourtant, quand une école ferme ce n’est pas les Syriens qui sont responsables, quand une maternité ferme en milieu rural, ça n’a rien à voir avec l’immigration érythréenne, quand un commerce de proximité, une boulangerie ferme, ça n’a rien à voir avec les Kurdes ou que sais-je encore. En vérité, si on regarde la réalité en face, nous savons aujourd’hui que si nous voulons préserver ces modes de vie auxquels on est attaché, l’immigration est une solution. Et en milieu rural, où l’extrême droite fait des scores très importants, on sait que le simple fait que quelques familles d’étrangers s’installent créera parfois des troubles. Mais très vite, s’intégrant à la société qui est la leur, rendant des services, partageant des expériences avec les citoyens locaux, on peut changer le narratif et les représentations sur l’immigration, on peut faire tomber les préjugés et on peut faire tomber cette insécurité qui existe. On attribue à l’immigration d’être responsable de ce trouble et beaucoup pensent que c’est parce qu’il y a trop aujourd’hui d’étrangers. En réalité, l’effondrement des services publics et la fin de l’égalité entre les citoyens, c’est parce qu’il n’y a plus de service public. La remise en cause des missions émancipatrices de l’école n’a rien à voir avec l’immigration, elle a à voir avec des politiques qui, depuis une trentaine d’années, ont fait le choix de privilégier le marché à la puissance publique, de libéraliser les échanges. Et c’est intéressant de voir qu’on arrive, me semble-t-il aujourd’hui, à une fin de cycle. Il n’y aura plus grand monde qui dirait aujourd’hui qu’il faut faire confiance au marché pour pouvoir engager la transition écologique. Aujourd’hui, on réfléchit en termes de politiques publiques, de réinvestissement dans le service public. On cherche à imaginer de nouvelles solidarités, des moyens de pouvoir engager la transition écologique. Ce devrait être un moment où, justement, on remet la régulation dans le débat public, un moment d’ailleurs qui devrait être favorable à la gauche et autour duquel on pourrait et on doit réagréger des classes populaires, des classes moyennes, des femmes et des hommes qui, faute d’avoir une réponse à la question sociale, se sont repliés sur les réponses à la question nationale identitaire. Et il ne faut pas mépriser les questions identitaires parce que si elles génèrent des peurs, il faut y répondre. Ce que nous devons dire aujourd’hui, c’est qu’il est vraiment temps de réinvestir la question sociale. Peu importe qu’on habite au cœur d’une petite commune de la Somme ou en banlieue parisienne. »
Benoît Hamon est un gentil au PS. Il propose ici des choix constructifs. Il existe les enferrés dans leurs idéologies destructrices et perverses et des politiciens humanistes. Voici un interview intéressant et enrichissant, ce qui est un peu rare en politique. MERCI !