L’extrême droite peaufine sa toile

mlppp

Avec la prise de distance radicale du RN à l’égard de son homologue allemand de l’AfD, la donne est en train de basculer, pour des raisons à la fois européennes et nationales.

Il y a à peine un an, on pouvait encore évoquer l’existence de trois modèles possibles du côté de l’extrême droite européenne : le modèle italien de Giorgia Meloni, l’allemand de l’AfD et le français de Marine Le Pen. L’extrême droite intégrée en Italie, l’extrême droite radicale antisystème en Allemagne et l’extrême droite en voie de normalisation en France. En ce temps-là, Marine Le Pen se plaisait à se démarquer des deux autres, cultivant sa position centrale1.

À l’échelle continentale, l’extrême droite est en passe de s’imposer comme une force majeure, au moins égale à celles des libéraux et des sociaux-démocrates. Mais cette extrême droite, potentiellement en tête des groupes installés à Strasbourg, est aujourd’hui divisée.

L’enjeu est donc de donner du liant au sein de cet ensemble disparate, pour placer le plus à droite possible le centre de gravité du pouvoir européen. Meloni et Le Pen peuvent être concurrentes pour exercer un leadership, mais leurs projets doivent être les plus compatibles possibles, si elles ne veulent pas être cantonnées au rôle de simples forces d’appoint ou d’aiguillons pour des majorités toujours structurées autour du PPE.

Quant au terrain plus proprement national, on sait qu’il a connu une mutation sensible en 2022. L’extrême droite a fait alors un bond en avant spectaculaire, alors que le pouvoir marconien fléchissait et que la droite classique implosait. De plus, l’émergence du phénomène Zemmour, après avoir été brièvement perçu comme une alternative possible au lepénisme, a finalement démultiplié les forces à l’extrême droite et permis à Marine Le Pen de ne plus être la personnalité la plus à droite de l’échiquier politique français.

Une scène politique française qui serait dotée de ses deux extrêmes, que l’on dit incarnés par Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour ; une gauche qui ne dépasserait pas le tiers des votants ; une droite dont la dynamique ne serait plus du côté du centre ou des résidus du gaullisme historique… La base d’une recomposition globale se met potentiellement en place et pas dans le bon sens.

Minuit moins le quart

L’enjeu est donc immense et ne doit pas être pris à la légère. Même « normalisée », l’extrême droite reste ce qu’elle est et son accession au pouvoir doit être tenu pour le risque d’une véritable rupture démocratique. Elle ne serait pas une simple accentuation d’un « illibéralisme » déjà là, mais une césure redoutable dans l’histoire républicaine de notre pays…

Mais si elle reste elle-même, on peut moins que jamais la combattre en s’en tenant à la réactivation des vieux réflexes de « l’antifascisme ». Le Rassemblement national a d’ores et déjà acquis le statut d’un parti attrape-tout. Il a certes des caractéristiques originales et notamment un enracinement populaire prononcé (ouvriers et employés, revenus modestes, formations courtes, implantation extra-métropolitaine). Il n’est toutefois marginalisé dans aucune catégorie et séduit une part inquiétante de la jeunesse.

Tout cela doit nous inciter à ne jamais oublier ce qui fait la force du RN actuel, au point d’en faire l’alternative la plus attractive à la droite « systémique » au pouvoir. Dans une société dominée par l’inquiétude et le déchirement, l’extrême droite offre l’attrait d’une cohérence rassurante centrée sur la protection, la sécurité et la préférence nationale. Dans un monde dangereux et dont les ressources ne sont pas inépuisables, elle offre la garantie de la frontière et écarte de la table commune tous ceux qui préfèrent l’assistanat au travail. En bref, longtemps cantonnée à la stigmatisation de l’immigration, l’extrême droite d’aujourd’hui est parvenue à faire de la clôture et de l’exclusion des opérateurs capables de relier l’économique, le social, le politique et la conscience collective.

Sur ce plan, la gauche n’est pas à la hauteur, parce qu’elle n’a pas su imposer un récit renouvelé, fondé sur ses valeurs fondamentales d’égalité, de citoyenneté et d’émancipation individuelle et collective. Un projet d’ampleur, adapté à un monde en plein bouleversement, dont les grilles de lecture ne peuvent plus être celles d’hier. Un récit ancré dans une longue histoire de luttes et de conquêtes, mais refondé, tirant les leçons de tous les échecs sans exception, anciens ou récents. Et elle n’est pas à la hauteur parce qu’elle ne sait pas encore conjuguer la pluralité et l’unité. Plus encore, elle ne parvient toujours pas à conjurer la séparation du social, du politique et du symbolique.

D’ici le 9 juin, il est bon que toutes les forces de gauche engrangent le plus possible de voix, en additionnant leurs ressources plutôt qu’en se les disputant. Et il conviendra ensuite qu’elles s’attachent retisser en commun ce qui doit l’être, pour éviter le pire et faire face à la plus décisive des élections, dont on sait qu’elle est aussi historiquement la plus difficile pour la gauche.


  1. Voir par exemple Gilles Ivaldi, « L’extrême-droite européenne est-elle en voie de normalisation ? », note Le Baromètre de la confiance politique, Sciences Po CEVIPOF, vague 14, mars 2023 ↩︎

Partager cet article

Actus récentes

Abonnez-vous
à notre NEWSLETTER
quotidienne et gratuite

6 commentaires

  1. Lucien Matron le 23 mai 2024 à 17:51

    La phrase :  » une scène politique française, avec deux extrêmes, incarnés par Jean Luc Mélenchon et Eric Zemmour » ne correspond pas à une réalité objective. Au delà des personnes, de leur caractère et de leur comportement, la camparaison des programmes de chacun ne permet pas de classer JLM comme un extémiste ou alors il faut avancer l’idée que la radicalité est présente dans tous les partis politiques. Par son caractère ultralibéral, par les décisions prises ou votées à coup de 49.3, par ses coups incessants contre les services publics ( voir le projet de réforme de l’audiovisuel public par exemple ) et autres prises de position à caractère autoritaire, l’equipe Macron-Attal est extrémiste. Autrement dit, l’extréme centre existe, et il est au pouvoir donc infiniment dangereux.

  2. Jean Sérien le 23 mai 2024 à 20:23

    Il faudra un jour faire l’autopsie du soi-disant concept d’ « illibéralisme » …

  3. Frédéric Normand le 24 mai 2024 à 00:28

    Le RN n’est pas contre l’immigration en elle-même. Il est contre l’immigration illégale.

  4. Lucien Matron le 24 mai 2024 à 06:40

    Le RN est pour l’immigration intéressée . Que dit-il et que fait-il pour les les travailleurs immigrés et exploités dans de nombreux secteurs économiques ? Rien. Le RN est un parti phobique et raciste : islamophobie, homophobie, europhobie,…sont ses lignes de conduite. Le RN est un parti ultra conservateur, il s’est historiquement prononcé contre toutes les avancées sociétales : contre la peine de mort, contre l’avortement, contre le mariage pour tous…Le RN est le parti fourre-tout et de l’attrape-couillonnerie la plus primaire. Il ne faut pas compter sur le RN pour défendre et promouvoir les principes et les valeurs républicaines : laïcité, liberté, égalité, fraternité. En définitive, tout en prétendant le contraire, c’est un parti véritablement anti-français.

  5. Frédéric Normand le 24 mai 2024 à 09:26

    La France est une démocratie. Elle n’est pas un État socialiste. Cette configuration politique est à elle seule difficile pour la gauche et plus encore pour l’extrême-gauche, qui prétendent toutes deux à la supériorité intellectuelle et morale. Face à l’égalité des citoyens quelle que soit leur opinion et leur liberté de la choisir sans avoir à en répondre devant aucune instance supérieure émanant de l’Etat, les partis de gauche et d’extrême-gauche voient leur principes essentiels traversés par ceux de l’Etat de droit. Même si la social-démocratie accepte sans avoir à se renier la démocratie, comme son nom l’indique – il faudrait plutôt parler de démocratie sociale – son fonds culturel reste empreint de l’idée d’une supériorité axiologique des valeurs de gauche sur celles de droite.

    Les partis de toute obédience jouent leur jeu, avec un succès variable auprès des électeurs, au grand dam de Roger Martelli quand cette variabilité agit au détriment du communisme. Historiquement l’extrême-gauche n’a jamais remporté une élection démocratique. Mais même si cela arrivait, le régime resterait démocratique, il ne serait pas devenu un régime socialiste, à moins de supprimer le suffrage universel. Les électeurs ont toujours le dernier mot.

    Ceux de gauche et d’extrême-gauche, par cela seul, sont-ils plus intelligents, plus vertueux, plus anticipateurs, que ceux de droite et d’extrême-droite ? La question est taboue. Soit. Ce tabou contribue à la cohésion de la société, où la référence démocratique pose par principe l’égalité de tous et nie la supériorité de personne.

  6. jimbo le 1 juin 2024 à 14:24

    Les raisons de la poussée du RN et Cie :
    – 70% des Français favorables à la préférence nationale (43% des électeurs de LFI y sont favorables !).
    – entre 600.000 et 900.000 clandestins actuellement en France, que la gauche veut régulariser contre l’opinion majoritaire.
    – 70% de Français favorables à la loi immigration, 37% disant qu’elle ne va pas assez loin.
    – la loi immigration est jugée « trop dure » par seulement 52% des électeurs de JLM de 2022, qui sont quand-même 44% à être « satisfaits » du vote de cette loi ! On en trouve même 15% qui trouvent qu’elle ne va pas assez loin (on parle bien d’électeurs de JLM !)
    – Le MEDEF et consorts veulent entre 150.000 et 300.000 immigrés supplémentaires par an pour en faire une main d’œuvre corvéable sur des métiers dits « en tension » pour ne pas dire « métiers de merde, dangereux, déconsidérés et surtout mal payés, que les Français ne veulent plus faire dans ces conditions et à ce tarif ».
    La stratégie actuelle de la gauche envers ceux qui votent RN ou envisagent de le faire consiste à dire : « Vous vous trompez de cible, le RN est ultralibéral, etc. ». Une stratégie qui vise à expliquer aux électeurs qu’ils ne comprennent rien à rien. C’est sûr que ça va marcher, surtout venant d’une gauche qui semble avoir copié son programme migratoire sur celui du MEDEF. A ce titre, les propos révélateurs de Manon Aubry sur les immigrés dont la France aurait besoin pour les livraisons Deliveroo sont à vomir, et je pèse mes mots.
    Non, la stratégie d’une gauche qui souhaite renaître doit être une autocritique réaliste : « Nous nous sommes trompés sur l’immigration ». C’est une question cruciale sur laquelle il faut relancer un VRAI débat à gauche avec pour règle d’interdire les anathèmes et les procès en racisme ou xénophobie. Marre que le gauchisme et sa police de la pensée gouvernent cette question. Marre que des gauchistes sabordent la gauche et s’en prennent à la Terre entière pour leurs échecs et jamais à eux-même.
    Je lis que « La gauche n’a pas su imposer un récit renouvelé ». Mélenchon l’a fait en 2012, et c’est l’exemple même de ce qu’il ne faut plus faire, je cite : « Le socle de la patrie est dans la Méditerranée (…) Il n’y pas d’avenir pour la France sans les Arabes et les Berbères du Maghreb ! ». Un récit totalement délirant et diviseur, un crachat à la face des électeurs, qui prouve que JLM n’est qu’un gauchiste ordinaire, en ceci qu’il fera tout pour éviter la prise du pouvoir et les responsabilités qu’elle incombe. Il a permis l’élection d’un président « socialiste » compromis et dont tout le monde savait qu’il attaquerait le code du travail. JLM est un artisan du hollandisme, « Qu’ils s’en aillent tous » est une phrase qu’il devrait s’appliquer à lui-même.
    Pour en avoir fait partie, je suis sincèrement désolé pour ceux qui soutiennent encore JLM, l’homme qui a réussi à devenir le JMLP de la gauche, un pestiféré autour duquel se dressent les barrages sanitaires. Quittez ce radeau, vous coulez !

Laissez un commentaire