Après la percée du RN et l’annonce d’une dissolution, les gauches au pied du mur fasciste

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Après une défaite électorale et une campagne faite de divisions idéologiques, les gauches sont forcées d’imaginer leur union. Face à l’urgence de se rassembler face à l’extrême droite, elles devront résoudre en un temps record des désaccords profonds.

La France a connu deux séismes politiques d’une magnitude inédite, au soir du dimanche 9 juin. Le premier est provoqué par le score du Rassemblement national, qui atteint 31,5% (30 sièges) pour ces élections européennes, son plus gros résultat jamais enregistré. Et les gauches, divisées, restent loin derrière. Le Parti socialiste et Place publique derrière Raphaël Glucksmann réalisent un score moitié moins important (13,8%, soit 13 sièges) même s’ils doublent leur résultat obtenu il y a cinq ans. La liste insoumise, portée par Manon Aubry, atteint 9,9% (9 sièges), augmentant de près de quatre points son résultat de 2019. Marie Toussaint et les écologistes s’effondrent, atteignant péniblement 5,5% (5 sièges). Le Parti communiste (PCF) de Léon Deffontaines (2,4%) ne réussit une nouvelle fois pas à dépasser le seuil fatidique des 5%, nécessaire pour faire élire des eurodéputés à Bruxelles.

Le second séisme, c’est la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron, engageant des législatives dont les deux tours sont fixés au 30 juin et au 7 juillet. « Les partis d’extrême droite progressent partout sur le continent. En France, leurs représentants atteignent près de 40% des suffrages exprimés. C’est une situation à laquelle je ne peux me résoudre […]. Après avoir procédé aux consultations prévues à l’article 12 de notre Constitution, j’ai décidé de vous redonner le choix de votre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soit à l’Assemblée nationale », développe le chef de l’État une heure après les premières estimations lors d’une allocution télévisée aussi rapide qu’imprévue. Avant d’assurer que « cette décision est grave, lourde, mais c’est un acte de confiance. C’est un temps de clarification indispensable »

Le président de la République répond donc favorablement à la demande exprimée quelques minutes plus tôt par Jordan Bardella : « Emmanuel Macron est ce soir un président affaibli, désormais rétréci dans ses moyens d’action au niveau européen. Nous lui demandons de prendre acte de cette nouvelle donne politique et d’organiser de nouvelles élections législatives. »

Les gauches se retrouvent donc au pied du mur. Comment réussir à se retrouver après une campagne pleine d’invectives ? Dans la foulée de l’allocution du Président, toute la gauche a multiplié les appels unitaires. Sur France 2, Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste (PCF), estime que « la gauche a la responsabilité d’écrire une nouvelle page pour revenir sur la réforme des retraites, pour remettre les salaires, le pouvoir d’achat, les retraites au cœur de ce nouveau gouvernement que nous pourrions demain diriger ». Sur X (ex-Twitter), Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Écologistes, affirme que « l’heure est trop grave pour perdre des heures à se déchirer. J’invite tous les chefs de partis progressistes à se réunir dès demain matin ». Invité du plateau de TF1, Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, appelait déjà à « une coalition à gauche qui permette de rassembler des gens capables de s’accorder de manière démocratique » avant même que la dissolution ne soit prononcée par le chef de l’État.

Mais tout cela se fera-t-il du jour au lendemain ? Car au Parti socialiste, les défenseurs de la ligne critique envers la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes) ne se sentent toujours pas prêts à reprendre les bases du programme de la Nupes tel quel après les bons scores de Raphaël Glucksmann. « La gauche est dans un état très faible. Une ligne claire a émergé dans cette campagne, une ligne social-démocrate moderne. C’est la ligne que nous portons qui est devenue centrale à gauche. On ne doit pas répéter les erreurs du passé, le social-libéralisme ou le social-populisme », considère Nicolas Mayer-Rossignol, maire PS de Rouen, et chef de file de la motion « Refondations » qui n’exclue pas non plus un accord avec La France insoumise. Et certains cadres, plutôt favorables aux orientations de la direction d’Olivier Faure, jugent également qu’une discussion avec les insoumis est possible si les intéressés tiennent compte de la photographie des rapports de force du 9 juin au soir. « Il ne faut pas ignorer les résultats des européennes. Il faut qu’on reparte sur des bases saines, ça vaut pour les insoumis, les écolos, les communistes. Il faut discuter rapidement mais sereinement », dit un élu des instances nationales du parti. 

Quant aux Écologistes, un parti tiraillé entre deux pôles – ceux plutôt attirés par un accord avec les socialistes, et ceux convaincus qu’un accord à gauche doit être conclu avec toutes les composantes possibles, y compris le noyau mélenchoniste –, les débats qui existaient pendant cette campagne se sont soudainement atténués par l’urgence de la situation. « Cette dissolution est un appel au sursaut. La gauche n’a pas beaucoup d’options : c’est la Nupes ou la mort », assure Sergio Coronado, cadre du parti. « La situation nous oblige à faire très vite l’unité, explique Alain Coulombel, membre de l’exécutif de la formation. Mais il va falloir lever les obstacles du PS qui n’est plus sur la ligne de la Nupes, et aussi de la LFI qui ne va pas forcément accepter de signer un accord qui ne respecte pas la logique du programme signé pour les législatives en 2022. Il y a 2 ans, le rassemblement s’est construit autour de la France insoumise. Le problème aujourd’hui, c’est qu’on a des rapports de force chamboulés. »

Du côté de La France insoumise, personne n’est prêt à rediscuter du programme signé par toute la gauche lors des dernières législatives. Et surtout dans une campagne en mode express, car le premier tour de ces élections anticipées se tiendra dans trois semaines seulement. À 23 heures devant le QG de LFI, place Stalingrad, à Paris, Jean-Luc Mélenchon tient à prévenir le reste de la gauche : « Il ne suffit pas de bêler en cadence ‘Union, union!’. D’accord, mais sur quelle base ? Pour quoi faire ? Vous voulez qu’on recommence les palabres sans fin et qu’à la fin on se retrouve avec des phrases qui ne veulent rien dire ? »

Le député LFI de Seine-Saint-Denis Éric Coquerel se place sur la même ligne : « Je me méfie de l’assouplissement des programmes parce qu’au bout du compte, vous n’avez que de l’eau tiède. Le problème avec l’extrême droite, c’est qu’elle arrive à se passer pour des antisystèmes alors qu’ils ont un programme raciste et libéral. Si en face, votre seul argument est ‘sauf qui peut’, vous perdez tout le monde ». « On est toujours prêt. Je pense qu’on peut renforcer notre mobilisation populaire en faisant barrage contre l’extrême droite. On est jamais aussi bons que quand on est en campagne, espère la députée de Paris, Danièle Obono. Nous allons relancer une campagne avec la Nupes. » Selon un communiqué publié dans la nuit, le mouvement insoumis propose « à tous ceux qui le souhaitent de se regrouper » autour du programme de la Nupes et pose plusieurs lignes rouges pour les potentielles négociations à venir : la retraite à 60 ans, la hausse du Smic, l’annulation de la réforme de l’assurance-chômage et de la loi Immigration, la planification écologique et la sortie du nucléaire, la 6ème République, ou la reconnaissance de l’État palestinien. En clair selon eux, l’union se fera selon les conditions idéologiques insoumises.

Au soir de ces européennes, une bataille de légitimité vient de naître. En se plaçant en tête des gauches, les socialistes estiment qu’une renégociation sur le niveau de radicalité de la future unité est nécessaire. Ce que les insoumis, qui expliquent que seule une gauche de rupture pourrait battre l’extrême droite dans les urnes, refusent d’avance. Une confrontation aura-t-elle lieu ?  

Du côté des plus unionistes des composantes de gauche, on tente tant bien que mal de contourner le débat. Le député de la Somme et frondeur insoumis, François Ruffin réclame un « Front populaire » sur BFMTV : « Ça ne me fait pas peur de remettre mon mandat en jeu. Mais qu’est-ce qui reste face au Rassemblement national ? Les macronistes vont se prendre une deuxième raclée. Donc il ne reste que la gauche. Et je le dis avec gravité et responsabilité : il nous faut une gauche unie. C’est le seul moyen pour faire front au RN […] J’en appelle, dès ce soir, à Marine Tondelier, Olivier Faure, Fabien Roussel et Manuel Bompard pour qu’on se range derrière une barrière commune : une barrière Front populaire. Parce qu’on l’a vu dans l’histoire de notre pays, on est capable d’un sursaut, on est capable d’éviter le pire. Ce soir, je viens dire à la gauche : unis, nous pouvons gagner ». Sur X, Clémentine Autain s’exprime sensiblement sur le même ton, proposant une réunion à tous les députés de gauche : « L’union des gauches et des écologistes est un devoir, un impératif. Une semaine pour faire l’unité dans la clarté. Deux semaines pour mener la campagne et obtenir la majorité des sièges. Il faut que se mobilisent toutes celles et ceux qui, dans ce pays, ne veulent pas de la chasse aux migrants et aux pauvres, qui sont attachés aux droits des femmes et aux libertés, qui veulent des protections sociales et la paix ».

Pour la députée écologiste de Paris Sandrine Rousseau sur Franceinfo, « nous sommes à ce moment de l’histoire où la gauche doit se réveiller et proposer une alternative crédible aux Françaises et Français et porter espoir. Et pour le coup, nous avons un programme qui est le programme de la Nupes, dont on pourra quand même en discuter quelques aspects ». « Nous avons l’obligation de trouver un chemin pour faire l’unité », renchérit Dieynaba Diop, porte-parole du Parti socialiste qui assume que des échanges ont eu lieu dans la nuit du dimanche au lundi et que les discussions s’approfondiront ce 10 juin. La première étape de la recomposition a bel et bien commencé.

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4 commentaires

  1. Magnus le 10 juin 2024 à 21:38

    C’est mal parti. Le PS pose des conditions inacceptables pour moi : soutenir l’escalade potentiellement catastrophique (bombes atomiques sur la france et le rouyaume-uni) en Ukraine, …

    Je ne pourrais pas voter pour la NUPES si jamais LFI accepte ça. Après ça m’étonnerait si la majorité de LFI accepterait une telle soumission aux Etats-Unis.

    Oui pour une NUPES qui ne cède pas aux intransigeances du PS.
    Non à une NUPES qui devienne bourgeoise, soumise aux Etats-Unis et l’ordre mondiale qui est derrière tant des problèmes d’aujourd’hui – et est dans la continuation d’une exploitation qui a commencée avec le colonialisme.

    Combattre l’extrême-droite c’est aussi combattre cet ordre impérialiste. On ne peut pas se contenter d’une amélioration marginale et temporaire ici en Occident et continuer à s’en foutre du reste du monde.

  2. HLB le 11 juin 2024 à 00:44

    Personnellement, mon engagement dans cette campagne législatives improvisée, dépendra des bases de l’accord d’union. S’il est question d’être inféodé à des courants naphtalinés, type Hollande/Cazeneuve, pas question ! Je ne m’imagine pas faire ami-ami avec des gens comme Glucksmann, va t’en guerre en Ukraine et sioniste à bloc.
    Et, sous couvert de « battre l’extrême-droite », le pire se profile déjà. On en parle peu, mais l’état-major macroniste promet de ne pas présenter de candidat(e)s là où il y aurait déjà un candidat de « l’arc républicain », défini par l’Elysée. Ce qui implique que c’est donnant-donnant: pas de candidat(e)s non plus face à un(e) sortant(e) macroniste, de la part de la gauche. On nous refait le coup du front républicain, qui conduit invariablement à toutes les magouilles. Et, au final, à des déceptions et rancœurs….qui renforcent le RN et ses alliés.
    Macron et sa clique espèrent sauver leur peau, en faisant vibrer la corde sensible, et une partie de la gauche est prête à tomber (en toute conscience !) dans ce piège, pourtant grossier et usé.
    Je n’ai JAMAIS donné, et ne donnerai pas ma voix pour aider à sauver ceux qui:
    -veulent entrainer la France dans la guerre Ukraine/Russie
    -approuvent implicitement le génocide perpétré par Nétanyahou contre le peuple palestinien
    -ont matraqué, gazé, éborgné sciemment les Gilets jaunes, en toute impunité
    -ont réprimé le mouvement anti passe sanitaire et anti injection obligatoire, privant de travail et de droits une partie des non-injecté(e)s
    -ont imposé, contre vents et marées, en toute illégitimité, une contre-réforme des retraites, brutale et injuste
    -détruisent sciemment l’environnement, en prenant systématiquement le parti des bétonneurs, leurs alliés
    -et j’en passe….
    A un moment, tout se paie. Je ne lèverai pas le petit doigt pour sauver les sièges de ces nuisibles, même au nom de la « lutte contre le RN ». Alors que les macronistes lui déroulent le tapis depuis des mois, et cherchent à lui piquer ses thèmes politiques, il faut qu’ils aient un certain aplomb pour essayer de se présenter, une nouvelle fois, comme un « rempart » à ce parti.
    Si la gauche accepte ça, la seule option sera l’abstention, ou le vote pour celles et ceux qui refuseront ce(tte) compromis(sion) !

    • Henri carrière le 13 juin 2024 à 19:04

      J’approuve dans la plupart des cas ,ce que vous dites !On court à la catastrophe avec des « énergumènes » qui copient,collent les thèses du Front national pensant qu’ils leur damerait le pion .La stratégie du _chaos .

  3. Boumeur le 17 juin 2024 à 12:44

    Macron est un dangeureux psychopathe, il veut le chaos général! Il avoue de nouveau qu’il cherche le pire pour la France. Malheureusement les Français ne réagissent toutjours pas, ils ne voient pas ce que se passe dans notre propre pays !

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