Rapport Draghi : la deuxième lame
Mario Draghi en remet une couche : trois mois et demi après son premier rapport, il relance et précise ses critiques du modèle de croissance européen. Ses analyses trouvent écho auprès de Jean Pisany-Ferry. Un débat s’ouvre parmi les dirigeants européens sur le recul de l’Europe. Débat dont il faut se saisir.
Mario Draghi a délivré le 15 décembre un nouveau commentaire de son rapport sur la spirale du déclin économique et social de l’Europe et sur les moyens d’en sortir. Visant à redonner une boussole et une mission à l’Union européenne, son rapport avait été salué par Emmanuel Macron et fut adoubé par Ursula von der Leyen qui prétendait en faire une feuille de route de la nouvelle commission. Fallait-il y voir un soutien inconditionnel ?
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Les résistances aux changements suggérés par Mario Draghi sont fortes. Le prédécesseur de Christine Lagarde à la banque centrale européenne insiste désormais clairement sur la responsabilité du modèle de croissance et de politiques budgétaire et monétaire déployé depuis plusieurs décennies par l’UE sous l’impulsion et la direction de l’Allemagne.
Bien sûr, ce que préconise le rapport est discutable et, selon nous, est loin de permettre d’aller vraiment dans la bonne direction. Certes, dans la mixité public-privé, Mario Draghi réclame plus d’investissements publics et de politiques industrielles. Mais, en même temps, il ignore les enjeux du climat et de la biodiversité, il continue de privilégier le marché en misant sur l’approfondissement du marché unique des biens, des services et surtout des capitaux.
L’UE doit d’urgence bifurquer de son modèle mercantiliste. Tout le contraire en quelque sorte de la poursuite sans fin de la politique de l’offre des gouvernements et du capitalisme français.
Alors que l’UE va devoir se déterminer face à la politique Trump et que Christine Lagarde préconise déjà « d’acheter américain », Mario Draghi revient donc à la charge. Son rappel mérite d’être débattu.
Selon Mario Draghi, le modèle européen aujourd’hui en grande difficulté, repose sur trois piliers : « la faiblesse de la demande intérieure, les bas salaires et les investissements à l’étranger ». Ce qu’il met en cause, c’est le modèle du mercantilisme à l’allemande ou, d’une autre façon, la politique de l’offre à la française. L’économiste Jean Pisani-Ferry, un temps conseiller d’Emmanuel Macron, a rapidement repris à son compte l’analyse de Mario Draghi : « Depuis une quinzaine d’années, la zone euro a fait comme si elle pouvait compter sur ses partenaires commerciaux pour tirer sa croissance sans devoir elle-même la promouvoir et elle a massivement exporté son épargne vers le reste du monde , en particulier vers les États-Unis. En agissant de la sorte, elle s’est comportée comme une petite économie ouverte. »
La zone euro s’est enfermée dans un cercle vicieux. Elle affaiblit sa capacité d’innovation, d’investissements dans les services publics et sociaux et sa productivité. Un diagnostic sans appel : l’UE doit d’urgence bifurquer de son modèle mercantiliste et miser sur le développement de sa demande intérieure et de sa capacité d’investissement intérieur et d’innovation. Tout le contraire en quelque sorte de l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Et tout le contraire aussi de la poursuite sans fin de la politique de l’offre des gouvernements et du capitalisme français.
Pour résoudre les problèmes humains, sociaux et écologiques de la planète, il faut sortir de l’idéologie économique dominante et totalitariste fondée sur le tout marché et la libre circulation des capitaux. La question centrale est celle d’inventer et de promouvoir un modèle économique en capacité d’adapter puis de remplacer cette idéologie mortifère incarnée par des Musk ou plus près de nous, par des Arnaud, Mulliez, Bolloré et leurs valets politiques. Qui est prêt à relever ce défi ? Meilleurs vœux à toute l’équipe de Regards.