En Espagne, l’union de la gauche au pouvoir, ça marche (et ça continue !)
Depuis 2020, le royaume d’Espagne est gouverné par une collation des gauches socialiste et radicale. Le 23 juillet dernier, des élections législatives anticipées ont eu lieu. Le Premier ministre sortant Pedro Sanchez s’apprête à être réinvesti. L’occasion de faire le bilan et de tirer quelques perspectives.
Antoine de Laporte est expert associé à la Fondation Jean Jaurès.
Regards. Le Premier ministre socialiste vient de signer un accord de coalition avec son alliée Yolanda Diaz de la gauche radicale, il a négocié le soutien des indépendantistes catalans. On dirait que tout va comme sur des roulettes pour la gauche espagnole, pour autant, Pedro Sanchez n’a pas non plus de majorité parlementaire. Que lui manque-t-il et comment va-t-il s’y prendre ?
Antoine de Laporte. Tout d’abord, il faut noter cet accord de coalition, dont les principales idées sont une nouvelle augmentation du salaire minimum et une réduction du temps de travail – ce qui n’a pas été fait depuis 1983 – avec pour ambition une semaine de 32 heures. Mais en effet, avant ça, il manque 24 sièges à Sanchez et Diaz. Des sièges que Pedro Sanchez peut aller glâner auprès des indépendantistes catalans (7 de gauche, du parti ERC, et 7 de droite, du parti Junts), auprès des 6 élus de Bildu, la coalition de gauche basque et navarraise, et auprès des 5 élus du Parti nationaliste basque. Des voix qu’il va falloir négocier : en échange du soutien (et de la loyauté) des partis catalans à sa politique, Pedro Sanchez a, par exemple, annoncé qu’il octroierait l’amnistie aux Catalans emprisonnés suite au référendum d’autodétermination de 2017. Là encore, Pedro Sanchez est habile : il revendique très clairement des concessions qui ne sont pas ses positions politiques, mais il endosse la responsabilité de celles-ci. Mais le Premier ministre compte également aller chercher deux autres députés – un du Bloc nationaliste galicien et un de la Coalition canarienne – afin qu’au moment du « vote de confiance », les seuls partis qui votent contre lui soient les partis de droite et d’extrême droite. Ainsi Pedro Sanchez montrerait sa capacité à articuler une majorité très diverse et plurielle, là où le Parti populaire (PP) s’isolerait dans la radicalité. Ce n’est plus qu’une question de jours avant son investiture, qui devrait avoir lieu dans la semaine du 6 novembre.
Revenons brièvement sur la campagne électorale, qui a eu lieu au début de l’été. Comment Pedro Sanchez s’en est sorti, alors qu’il venait tout juste de perdre les élections régionales et municipales ?
En fait, il a très bien analysé les élections locales du 28 mai dernier, qui a vu la droite du PP et l’extrême droite de Vox gagner de nombreuses régions et communes. En convoquant des élections anticipées, Pedro Sanchez extrapole ces résultats électoraux qui, contrairement à ce qu’on a pu penser, n’étaient pas si mauvais que ça pour lui. Certes, la droite et l’extrême droite avaient très bien performé et conquis un certain nombre d’institutions, mais « en voix », ils n’avaient pas de quoi avoir une majorité au niveau national. Pedro Sanchez, si. Il n’aurait plus qu’à profiter des alliances PP-Vox pour faire sa campagne. Se voyant déjà gagnante, la droite a fait feu de tout bois sur les thèmes sociétales de la gauche – les violences sexistes et sexuelles, les questions de genre, les droits des personnes LGBT –, quand Pedro Sanchez, lui, a joué non pas sur la peur de ce que l’extrême droite pourrait faire une fois au pouvoir, mais sur ce qu’elle est concrètement en train de faire au niveau local, grâce… au PP.
« En cinq ans, Pedro Sanchez a su ramener une sorte de stabilité politique. Quand la gauche est arrivée au pouvoir, le smic était à moins de 750 euros par mois et il est aujourd’hui à plus de 1000 euros. »
Ce sont donc les questions identitaires et sociétales qui ont rythmé la campagne. Et finalement, c’est bien le retour de discours conservateurs, intolérants, excluants, qui a remobilisé la gauche. Le PP a fait une analyse montrant que sa défaite est notamment due à la sur-mobilisation des femmes, des jeunes et des Catalans en faveur de la gauche et particulièrement en faveur du PSOE. Certes, Pedro Sanchez arrive deuxième aux élections législatives du 23 juillet, derrière le candidat du PP Alberto Núñez Feijóo, mais ce dernier n’a pas trouvé de majorité pour former un gouvernement avec Vox, à cinq sièges près. A contrario, le socialiste a réussi son pari : il gagne un million de voix de plus qu’aux élections de 2019, le PSOE fait son meilleur résultat depuis les législatives de 2008.
En Espagne, la gauche socialiste gouverne depuis 2018 – en coalition avec la gauche radicale depuis 2020. Quel bilan peut-on déjà en tirer ?
En cinq ans, Pedro Sanchez a su ramener une sorte de stabilité politique. Le gros marqueur de la gauche au pouvoir en Espagne, c’est évidemment la hausse du salaire minimum, qui a quand même augmenté de 47% en cinq ans. Quand la gauche est arrivée au pouvoir, le smic était à moins de 750 euros par mois et il est aujourd’hui à plus de 1000 euros. Dans le même état d’esprit, il y a eu la loi Travail – dans le bon sens – qui a opéré un retour sur la dérégularisation du marché du travail. L’idée était de remettre le CDI comme contrat cadre du Code du travail. On pense aussi à la question territoriale, puisque les mesures qui ont été prises, la posture de dialogue qu’a adoptée Pedro Sanchez, ont permis de réduire les tensions très fortes entre l’État et la Catalogne. L’indépendantisme reste un mouvement important, mais il n’est plus capable de mobiliser un million de personnes dans les rues de Barcelone. Il y a bien sûr eu des mesures de grâce, mais le simple fait de rétablir le dialogue a permis de « désenflammer » la situation. Alors que le Parti populaire (PP) surfait sur le sentiment anti-catalans, Pedro Sanchez a simplement arrêté de créer de la tension, sans non plus céder sur la question du référendum. Ensuite, on ne peut pas ne pas parler du covid. Durant la pandémie, l’Espagne a été à la manœuvre pour la création du plan de relance européen, duquel sont sorties des mesures de chômage partiel, ce qui a été un moment, pour un gouvernement de gauche avec une ministre du Travail communiste (Yolanda Diaz) de tisser de très bons liens avec les syndicats et le patronat. Ça a permis de remettre en place un dialogue social meurtri par les années où le PP gouvernait. Finalement, le grand changement avec la gauche au pouvoir en Espagne, c’est le retour du dialogue, de l’échange, sur des sujets tendus avec les secteurs les plus conservateurs et les plus libéraux de la société. C’est la réaffirmation d’un logiciel social-démocrate, car Sanchez reste un socialiste, qui gouverne avec la gauche radicale : ils ne sont pas non plus dans le consensus néolibéral – ils ont, par exemple, rétabli un impôt sur la fortune, sur les banques, sur les superprofits des entreprises. On le voit dans les résultats électoraux, l’Espagne reste un pays assez divisé.
Et sur le plan des réformes sociétales ? L’Espagne a avancé sur beaucoup de sujets, non sans polémiques…
En effet. Il y a eu trois lois majeures. La loi sur l’IVG, qui a réaffirmer le droit à la santé sexuelle, qui a rappelé le droit aux mineures de 16 et 17 ans le droit de recourir à l’IVG sans avoir besoin d’autorisation parentale et qui a créé le premier congé menstruel. La loi « trans », qui permet de changer de genre sur son état civil sans avoir besoin de passer par des prises d’hormones ou des opérations de changement de sexe. Ça permet de faire correspondre, au niveau administratif, son identité de genre, en dehors des questions médicales et/ou chirurgicales. Puis il y a eu la loi, décriée par la suite, dite « Un oui est un oui », la loi sur les violences sexistes et sexuelles. Cette loi a fait entrer dans le Code pénal la notion de consentement pour définir ou non une agression sexuelle ou un viol. Le problème, c’est que cette loi a supprimé le délit d’abus sexuel, modifiant les echelles de peine. Et en Espagne, il y a le principe de rétroactivité des lois pénales qui, en qu’à de changement du Code pénal, bénéficie aux condamnés. Résultat : plus de 1000 réductions de peine prononcées et plus de 150 personnes libérées par anticipation. Pour un gouvernement ouvertement féministe, ça a été une vraie douche froide. Et comme la ministre en charge de cette loi, Irene Montero, est une figure de Podemos, la polémique a été sur-amplifiée par ses opposants. Depuis, la loi a été corrigée, mais tous les crimes et délits commis entre l’adoption de la loi et sa correction resteront jugés sous l’empire de la « mauvaise » rédaction…
Un dernier mot sur le bilan de la gauche au pouvoir. Quelles avancées concernant un gros sujet : le franquisme et la mémoire de la guerre civile ?
Il y a eu l’adoption de la loi relative à la mémoire démocratique. L’Espagne a un « problème » avec sa mémoire. Pour rappel, au moment de la « transition », après la mort du dictateur Franco, le pays avait opté pour une loi d’amnistie pour les auteurs des crimes du franquisme. L’idée, en 1977, était de faire table rase du passé et de regarder vers l’avant. Presque comme si de rien n’était. Une posture de fausse réconciliation qui, génération après génération, ne tient plus. La loi vient réparer tout cela, en partie. Franci a été exhumé de la Valle de los caidos [un gigantesque monument à la gloire du dictateur, ndlr] pour être réinhumé dans un cimetière de Madrid. Cette loi envisage également de prendre en charge l’exhumation des fosses communes et interdit l’exaltation du franquisme. L’idée est de rouvrir les yeux sur cette période, ce qui ne se fait pas sans critique des rangs de la droite – gardons à l’esprit que le PP a été fondé par des anciens ministres de Franco.
Que penser de Yolanda Diaz et de son union des partis de gauche, Sumar ? A-t-elle réussi là où Podemos avait échoué ?
Sumar a eu l’énorme avantage de préserver la représentation parlementaire de la gauche non sociale-démocrate. Mais si on prend tous les partis qui composent Sumar, ils ont perdu en tout sept sièges. Podemos, en crise, en est réduit à sa portion congrue avec cinq députés. On explique ce recul de la gauche radicale par l’effet du vote utile vers les socialistes. On peut donc conclure que Sumar s’en sort bien, mais ça n’est pas une réussite. Sa force a été de rassembler sous une bannière les partis nationalistes régionaux, à l’exception du PNG en Galice. Il n’y a donc pas eu compétition entre des partis de gauche nationaux et régionaux, ce qui a évité des déperditions de voix. Tout cela reste assez loin de l’objectif que s’était fixé Yolanda Diaz, à savoir d’être la « première Première ministre », loin aussi des scores de Podemos en 2015 et 2016, qui était parvenu à passer devant le PSOE. Aujourd’hui, la gauche radicale a admis son rôle de « petit parti » à côté des socialistes, tout en conservant une force de négociation non-négligeable.
« Aujourd’hui, la gauche radicale a admis son rôle de « petit parti » à côté des socialistes »
Ben dis donc, quel avenir radieux à l’horizon ! Cet article semble un brin nostalgique du passé consistant des coalitions comme le gouvernement Jospin. Je suppose que Le Clerc a dû vivre cet époque glorieuse. À noter : ce gouvernement aura une majorité fine reposant sur des partis qui ne sont aucunement de gauche. On voit ce que ça donne actuellement en Allemagne. On voit ce que cela a donné en Suède. On verra bien ce que ça donne en Pologne (je ne me fais pas d’illusions).
Cet article semble confirmer que Regards ne crois pas à quelque chose de nouveau. Au mieux quelque chose vaguement recyclé du passé comme dernier rempart désespéré contre l’extrême droite. Yeah!
Regards repose sur de l’ancien. Comme le PCF. Comme Mélenchon. Comme tous ces partis politiques qui n’inspirent plus grande chose. Car voilà : le déséquilibre sur lequel se basent les syndicats et les partis est tel qu’une réforme de retraite peut être passée contre tous.
Il faut déconstruire pour construire autre chose. Jospin II ne fera pas l’affaire…
Comment avoir omis , consciemment ou non, de rapporter le débat sur les 850 assassinés de l’ETA dont sa branche politique actuelle Bildu offre des votes indispensables à Sanchez, poourquoi cet article ne fait pas état des dissonances chez la base du PSOE contre l’amnistie des independantistes catalans et des faveurs à Bildu .
Selon moi le socialisme espagnol actuel accepte d’avoir les mains sales de par ses alliances récentes sans oublier un certain oeil favorable à tolérer la présence djihadiste sur le territoire ,faut-il rappeler Atocha ?. Le PSOE de Sanchez » Manos de sangre » par alliance , un franquisme de gauche.Le socialisme espagnol en est rendu à cet abaissement, tristesse.
Serge Quesnel, Espagne.