Macron, le banquier sans projet
Au fait, c’est quoi le programme économique du Président pour son second quinquennat ? La réforme des retraites ? À vrai dire tout ceci est très flou… Même pour les ultra-libéraux. C’est dire si l’on avait besoin du décodeur de Bernard Marx !
MAD MARX. « On s’interroge souvent sur la stratégie du président de la République pour les cinq années de son mandat », écrit l’économiste Patrick Artus ce mercredi 11 mai. Et effectivement on ne peut que constater qu’Emmanuel Macron essaye de faire élire une majorité parlementaire en s’en tenant au plaidoyer de son débat de l’entre-deux-tours avec Marine Le Pen et sans clarification de son projet de politique économique.
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Emmanuel Macron, mis en difficulté par les résultats du premier tour de l’élection et par l’initiative politique d’union de Jean-Luc Mélenchon et de la France insoumise, cherche avant tout à refaire contre la gauche unie ce qu’il a fait contre l’extrême droite : la désigner comme dangereuse pour les libertés et l’avenir du pays. Il donne le la à une campagne politique sinistre dans laquelle, naturellement, Marine le Pen et le RN jouent leur partition, sans oublier la petite musique des éléphants moribonds du PS.
Le rêve de Macron et de Le Pen est de se retrouver pour les cinq ans à venir dans la même configuration que dans le quinquennat précédent. Un pas de deux, pas un pas de trois, et surtout pas un nouveau pas de deux entre la droite et la gauche. Leur rêve, s’il se réalisait, serait un cauchemar : la prochaine fois ce serait Marine ou Marion qui deviendrait Présidente.
Il faut d’autant plus imposer le débat qui n’a pas eu lieu à la présidentielle que la situation économique et sociale est très détériorée. Si des « on » comme Patrick Artus s’interrogent sur la stratégie du Président, c’est qu’à bon droit ils considèrent que le programme Macron est en réalité déjà obsolète sur bien des aspects. Le ciel est lourd de menaces d’aggravation des politiques économiques et des réformes que le pouvoir de la bourgeoisie va tenter de mettre en œuvre pour faire face aux crises qui se cumulent : géopolitique, économique, sociale et environnementale. Elles sont révélatrices de la fin du régime de croissance du néolibéralisme et du type de mondialisation mis en œuvre depuis un quarantaine d’années.
L’enfant du nouveau quinquennat se présente mal, diagnostique Patrick Artus : « Avec la guerre en Ukraine, la perte de croissance induite et les hausses des prix des matières premières, la situation des finances publiques en 2022 est nettement plus défavorable que ce qui était anticipé, et la capacité à financer des dépenses publiques supplémentaires est compromise ; alors que la demande d’amélioration du pouvoir d’achat est très forte, il va nettement reculer en 2022 avec la forte poussée d’inflation due à celle des prix des matières premières ; les entreprises sont affectées par les rationnements et difficultés d’approvisionnement qui ont suivi la reprise après la crise de la Covid et la guerre en Ukraine ; enfin, les taux d’intérêt vont être rapidement nettement plus élevés que ce qui était il y a encore peu de temps anticipé. »
Et encore tout cela ne dit pas qu’il faut prévoir la possibilité d’une guerre longue menée par Poutine en Ukraine et qu’il faut prendre enfin la mesure de l’urgence climatique et environnementale.
Les Géo Trouvetou de l’économie sont de sortie
C’est dans ce contexte que le « camp de la raison » du grand capital commence à y aller de ses conseils. D’abord en revenir aux fondamentaux de la contrainte des dépenses publiques, comme le dit l’éléphanteau Pierre Moscovici, recyclé premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques : « La France doit replacer la question de l’équilibre de ses finances publiques au cœur de ses priorités. Sa crédibilité en dépend ». Traduction par le directeur délégué de la rédaction des Échos – et en même temps éditorialiste économique quotidien de France Inter – Dominique Seux : le programme Macron dans sa version « élection présidentielle », ça ne va pas.
Coté pouvoir d’achat, il faudrait commencer à resserrer les boulons. « Gel des tarifs du gaz et de l’électricité, ristourne sur les carburants, chèque pour ceci ou pour cela. Le problème est que si ce qui était provisoire est prolongé, cela va coûter des dizaines de milliards d’euros. La question posée à Emmanuel Macron est de savoir s’il ne faut pas réduire la voilure et réserver les aides à ceux qui en ont vraiment besoin ». Et pour les réformes, Dominique Seux reflète une inquiétude qui se répand dans le landernau qu’il représente : commencer par faire reculer l’âge de la retraite, c’est peut-être pas une idée qu’elle est bonne : « Dans un paysage international, économique et politique tendu, est-ce sur ce sujet, les retraites, qu’[Emmanuel Macron] devra utiliser le plus rapidement son capital politique ? N’est-ce pas d’abord sur l’éducation, le plein emploi, la santé ou le climat, plus déterminants pour l’avenir, qu’il y a aussi des décisions difficiles à prendre ? […] C’est une vraie question », insiste-t-il.
On peut tirer trois conclusions de ce constat, somme toute, assez lucide :
1. En matière de recul de l’âge légal de départ à la retraite, la bataille des idées est presque déjà perdue pour Emmanuel Macron : s’il veut faire cette réforme, avertit Dominique Seux, il « aura à convaincre que sa réforme ne sera pas dure uniquement pour les salariés qui ont commencé à travailler autour de 20 ans. Y aller ou pas ? Et si oui, comment ? Et avec quel levier : âge légal ou durée de cotisation ? Ce sera la décision la plus lourde de son début de mandat ». Et si, comme le proclame l’économiste Philippe Aghion, il s’agit de prétendre faire cette réforme pour envoyer des signaux aux institutions de l’Union européenne et aux marchés financiers pour financer la croissance du pays, « ce serait totalement contre-productif », juge Dominique Seux. Il a compris qu’il n’y aurait rien de tel pour montrer le bien fondé du programme européen de la NUPES. Outre, évidemment, que si l’on veut trouver de l’argent pour financer les dépenses d’investissement public, on peut beaucoup plus efficacement aller le chercher ailleurs que dans la poche des actifs aux carrières longues et au travail pénible.
2. L’éducation, le plein emploi, la santé ou le climat sont effectivement déterminants pour l’avenir. Pourquoi continuer de les laisser largement sous le tapis ? Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. Dominique Seux mange un peu le morceau en expliquant que, dans ces domaines, « il y a aussi des décisions difficiles à prendre ». Par quoi il faut entendre qu’il y a des mauvais coups à porter contre les personnels des services publics, les catégories populaires et même les actifs des couches moyennes.
3. Une partie du pain sur la planche de la campagne des législatives de la NUPES est ainsi mis en évidence : politique contre politique sur les salaires et le pouvoir d’achat, l’emploi, les jeunes, l’éducation, la santé et le climat.