Reconnaître le syndrome d’épuisement professionnel (ou burn-out) comme maladie professionnelle ? La mesure part de bonnes intentions mais sera très insuffisante pour soigner un mal vaste et complexe, aux racines duquel il vaudrait mieux s’attaquer.
30 000 ou 3 millions ? Selon l’Institut de veille sanitaire[[L’INVS est devenu aujourd’hui Santé publique France.]], 30.000 travailleurs auraient été victimes d’un burn-out entre 2007 et 2012, tandis que selon une étude réalisée en 2014 par le cabinet Technologia, plus de 3 millions de personnes seraient en situation de risque élevé de burn-out. Cet écart de chiffre traduit à lui seul le flou qui entoure la notion même.
Un syndrome plutôt qu’une maladie
« C’est un concept poubelle dans lequel on met toutes les pathologies liées au travail, ce qui est très dommageable, déclare la psychologue Marie Pezé, à l’initiative en 1997 de la première consultation Souffrance au travail en France. Actuellement, on reçoit des gens épuisés parce que l’intensification et la charge de travail dépassent ce que l’organisme peut fournir. Mais le terme de burn-out est un concept mediatico-politique qui cache la forêt des pathologies liées au travail – que l’on connait bien et que l’on peut décliner de manière plus fine. »
Quoi qu’il en soit, pour la psychologue, comme pour nombre de ses collègues, le « burn-out », avec des guillemets, serait avant tout un syndrome et non une maladie, c’est-à-dire « une manière qu’a le psychisme de réagir à une situation. Dans le cas du syndrome d’épuisement professionnel, l’organisme et le cerveau sont tellement épuisés d’avoir sur-fonctionné qu’ils se mettent sur pause ».
Concept fourre-tout ou pas, le 15 février dernier, une mission parlementaire proposait de faciliter la reconnaissance du burn-out en maladie professionnelle. « Nous avons des difficultés à prendre en compte cette nouvelle souffrance psychique et notamment à la prévenir », déclarait à cette occasion le député PS Gérard Sebaoun, rapporteur de la mission. De fait, à ce jour, le burn-out ne figure pas sur le tableau des maladies professionnelles. Pour être reconnu victime d’un burn-out il faut donc passer par des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) seuls habilités à trancher. Une démarche longue et complexe – 418 dossiers validés en 2015 – qui nécessite de justifier d’un taux minimum de 25% d’incapacité permanente, taux que la mission propose d’abaisser à 10%.
Des indemnisations insuffisantes
Si, sur le papier, la proposition semble marquer un progrès en matière de santé au travail, pour Marie Pezé il s’agit plutôt d’une fausse bonne idée. « C’est vraiment faire preuve de peu de connaissances de la cuisine médico-administrative française que de vouloir à tout prix reconnaître le burn-out en maladie professionnelle. Ces dernières, à l’instar des accidents du travail, sont très mal rémunérées. Si vous êtes reconnu en burn-out en maladie professionnelle, on ne pourra pas utiliser ce diagnostic pour vous obtenir une invalidité de type 2 au régime d’assurance maladie général, la prévoyance que vous fournit l’entreprise ne pourra pas se mettre en route, vous aurez une indemnisation ponctuelle ou mensuelle mais minime et vous ne pourrez pas retravailler. Et si on abaisse le taux d’incapacité à 10% on diminue encore l’indemnisation parce que plus le taux est bas moins on vous donne. » Et d’ajouter : « Le mieux est encore de déclarer le salarié en dépression, ainsi il perçoit 50% de son salaire et le complément de la prévoyance. Il est tranquille pour un moment ».
Soit. Mais l’idée sous-jacente n’était-elle pas de faire payer l’employeur ? Car aujourd’hui, c’est bien le régime général qui prend en charge les salariés souffrant d’un burn-out, et non la branche professionnelle de l’assurance maladie financée par les employeurs. C’est du moins ce que pense Jean-Frédéric Poisson, député LR des Yvelines : « La seule manière, au fond, d’avoir une influence sur les entreprises viendra de l’impact qu’aura la déclaration en tant que maladie professionnelle sur les cotisations versées » [[In « L’assemblée intègre le burn-out aux maladies professionnelles », Mediapart, 29 mai 2015.]].
Repenser l’organisation du travail
Pour Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail, et soutien de Benoît Hamon – qui propose dans son programme de reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle –, les choses ne sont pas si simples. « Ce n’est pas par le burn-out qu’on va faire payer les entreprises, mais par la majoration de toutes les compensations des maladies professionnelles. Celles-ci sont très mal rémunérées en France. Il est impératif de revaloriser leur indemnisation et leur réparation. » Par ailleurs, jusqu’ici, l’inscription des pathologies au tableau des maladies professionnelles n’a jamais eu l’impact préventif escompté. Pour exemple les troubles musculo-squelettiques (TMS), pourtant inscrites, représentent toujours 85% des pathologies liées au travail. Et que dire du mésothéliome, le cancer de l’amiante, déclaré au tableau depuis 1945 ?
Pour en finir avec le burn-out, l’inspecteur du travail comme la psychologue assurent qu’il est pourtant primordial d’obliger les entreprises à repenser l’organisation du travail. « Le problème n’est pas tellement la reconnaissance du burn-out, mais comment le prévenir. Et la seule prévention que je connaisse, c’est la réduction et le contrôle du temps de travail, assène Gérard Filoche. Or la loi El Khomri signe la destruction de la prise en compte des risques psychosociaux puisque, désormais, les négociations des conditions de travail se feront à l’échelle de l’entreprise. On aura moins d’ordre public social donc moins de protection. »
La question reste donc entière. Comment, dans ces conditions, faire pression sur les employeurs pour qu’ils freinent la cadence ? Gérard Filoche, qui situe l’origine du burn-out dans « la recherche de rendement maximum des dividendes », suggère une solution radicale : « Occuper les entreprises et séquestrer les employeurs ».