TRIBUNE. Halte à la récupération politique des faits divers
Le meurtre de Lola, d’une rare atrocité, a provoqué un effet d’aubaine pour certaines personnalités politiques résolues à en tirer des fruits purement électoralistes, au risque de l’indécence, alerte l’avocat Vincent Brengarth.
Cette récupération politique entraîne insidieusement une dépossession de l’appareil judiciaire, dépassé par un tel traitement médiatique, et ce qui l’escorte, une divulgation incontrôlable d’éléments de l’enquête ou de totale désinformation. Cette dépossession se traduit aussi par une perte de la maitrise et du sens des mots, Eric Zemmour n’hésitant pas à qualifier l’acte de « francocide » : « C’est un francocide, c’est un crime commis contre un Français par un étranger. Ce n’est pas le crime individuel qui compte, c’est la masse ». Le sénateur LR Bruno Retailleau n’a pas manqué affirmer : « Le désordre migratoire peut tuer. Si cette Algérienne n’avait pas été sur le sol français, Lola aurait été encore en vie ». Le procès est déjà rendu, les responsabilités actées, et les cibles désignées.
Cette instrumentalisation à grand train, qui profite d’un boulevard médiatique, a obligé l’exécutif à réagir, à l’heure où les opinions démagogiques ont remplacé les idées. Si Gérald Darmanin a pu déclarer, mardi 18 octobre 2022, « En plus du drame ignoble qui touche cette famille, il y a beaucoup d’indécence de la part de personnes qui transforment cette histoire en tract électoral », le porte-parole du Gouvernement, Olivier Véran n’a pas manqué d’affirmer le lendemain : « Nous travaillons d’arrache-pied pour faire en sorte que les expulsions [soient] suivies d’effets ». Gérald Darmanin a finalement participé à la surenchère le 20 octobre : « Il faut bien sûr faire plus et j’y travaille chaque jour, mais tout ne se règle pas avec un coup de baguette magique ». Le Gouvernement est ainsi partagé entre la volonté de se défendre des attaques de l’extrême droite, en appelant donc à résister à l’instrumentalisation, et celle de participer à cette même récupération.
Réaction, émotion et basses manoeuvres politiques
Avant toute information judiciaire, l’opinion publique est sommée de prendre parti, à l’aveugle et à chaud. La présomption d’innocence est relayée au rang de chimère, comme si les investigations ne devaient avoir aucun sens, si ce n’est celui d’entamer le chemin vers une justice prétendument laxiste. La vérité judiciaire est atomisée sur l’autel de la récupération médiatique et politique. Son importance ne sera plus que secondaire, une fois l’affaire largement commentée, avant de donner place à un autre drame. Comptant sur le voyeurisme, on nous repaît des détails macabres, en même temps qu’on nous contraint à voir dans l’acte individuel un mal plus profond, évidemment étroitement lié à la présence d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire national. De nombreux responsable politiques ont également renoncé à tout rôle pédagogique, à une époque où le traitement dans l’immédiateté de l’information, en continu à la télévision et sur internet, les réseaux sociaux, contraignent à partager un avis sur tout, avec des informations souvent partielles et ni toujours vérifiées ni toujours vérifiables.
Il est indispensable d’appeler à la mesure. Le plus ironique est que ceux qui croient militer pour ce qui serait une « identité nationale », par leur action, contribue à détricoter les repères qui constituent la République, dont celui de la justice, pouvant servir de boussole contre les excès médiatiques et leur affolement. Il faut dire aussi que certains peuvent précisément chercher à la discréditer, pour justifier des condamnations passées ou à des mises en cause. Le fait divers sert non seulement une utilisation idéologique mais, plus grave encore, cette utilisation exploite l’émotion provoqué par l’acte. Cette émotion se retrouve mécaniquement dirigée vers une partie de la population, qui finit d’être stigmatisée par l’effet de l’amalgame. La barbarie a toujours existé et elle n’a pas de couleur. Toujours au prétexte de la défense de la protection de notre « identité », ces mêmes responsables politiques jouent des outils de la société moderne, pourtant les premiers qui, non maitrisés, favorisent le déclin de la nuance et de la réflexion.
Justice, réflexions et vivre-ensemble
De tout temps, des faits divers ont donné lieu à des commentaires politiques. Cette utilisation publique ne doit pas toujours être condamnée car, lorsqu’elle est faite avec mesure, elle peut concourir à aider à améliorer des législations et des politiques publiques. Si certaines idées, celles qui prêchent la haine et le rejet, ne devraient pas avoir leur place dans le débat public, la divergence des opinions est aussi une garantie démocratique. Le Conseil constitutionnel a consacré le pluralisme des courants d’idées et d’opinions qui constitue le fondement de la démocratie. La justice est également perfectible et a besoin d’être questionnée, lorsque ce questionnement ne se confond pas avec le discrédit et des tentatives à peine dissimulées de peser sur la décision judiciaire.
On ne peut que s’interroger sur le chemin pris par notre société lorsqu’un policier vient témoigner anonymement de faits couverts par le secret de l’enquête et de l’instruction et que les médias s’en repaissent en dépit de toute décence. Il est indispensable d’attendre de nos responsables politiques qu’ils nous protègent précisément des réponses faciles que provoquent les émotions vives mais aussi du traitement médiatique moderne qui dessert trop souvent la réflexion. Laissons à la justice le temps de faire son office, réfléchissons aux moyens d’éviter de tels drames, sans pour autant en faire les outils d’une logique de confrontation qui ne peut que dégrader notre capacité à vivre ensemble.