Colombie : un résultat historique pour la gauche, un second tour incertain

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Résultat historique pour la gauche en Colombie. Avec 40,3% au premier tour, le binôme présidentiel Gustavo Petro et la candidate à la vice-présidence Francia Marquez pour le « Pacto Historico » est arrivé largement en tête. Le second tour s’annonce incertain.

Le dimanche 29 mai 2022 avait lieu le premier tour de l’élection présidentielle en Colombie. Toutes les enquêtes d’opinion donnaient la candidature de la coalition de gauche, « Le Pacte historique », largement en tête. Gustavo Petro et la candidate à la vice-présidence Francia Marquez ont recueilli 40,33% et 8 523 265 voix. C’est le meilleur résultat que la gauche n’ait jamais obtenu dans toute l’histoire politique du pays. Gustavo Petro est en tête dans toutes les grandes villes, allant jusqu’à culminer à 47% à Bogota, ville dont il a été le maire. C’est bel et bien un résultat historique, fruit d’une campagne de longue haleine, populaire, avec des forces militantes très mobilisées et des démonstrations de force sur l’ensemble du territoire, avec des rassemblements de foule impressionnants, malgré les menaces et la violence qui ont émaillé la campagne. C’est aussi le fruit d’un élargissement de son socle.

A mesure que le soutien politique au gouvernement Duque faiblissait, Gustavo Petro a su attirer à lui des figures jeunes, ou dissidentes, du libéralisme et même des personnalités conservatrices, comme Alvaro Leyva. Face à la colère sociale, à l’abandon d’une partie du pays et à l’augmentation de la pauvreté provoquée par la crise du COVID, le choix de Francia Marquez comme candidate à la vice-présidence fut plus qu’un clin d’œil. C’est la prise en compte de la situation faite aux communautés afro-descendantes et indigènes, aux populations déplacées, aux femmes et aux minorités. C’est faire une place de choix à la remise en cause du modèle extractiviste qui règne en maître dans l’Amérique andine, et ailleurs, et aux luttes sociales communautaires pour la défense de la terre. C’est donc cette construction politique patiente, non sans erreurs et soubresauts parfois, qui permet à Gustavo Petro d’obtenir un gain de presque 4 millions de voix par rapport au premier tour de l’élection présidentielle de 2018, où il avait atteint 4 855 069 voix. Sa campagne est apparue comme l’issue politique du mouvement social commencé en 2019, à l’appel des centrales syndicales, qui a connu une mobilisation inédite contre les inégalités, la corruption et la violence répressive.

Ce premier tour connaît une participation élevée, 54.91 %, dans un pays de forte abstention. Alors que la mission d’observation électorale, MOE, avait mis en lumière les violences de la pré-campagne, ce dimanche électoral de premier tour s’est déroulé de manière satisfaisante selon les observateurs.

L’Uribisme absent du second tour

« Fico » Gutierrez, que les enquêtes d’opinion plaçaient, à quelques jours de l’échéance, à la seconde place paie le prix d’un rejet massif de l’Uribisme et du vieux système, qu’incarne le trio des anciens Présidents Alvaro Uribe, Cesar Gaviria et Andrés Pastrana, tirant les ficelles de la vie politique colombienne depuis des décennies. L’ancien maire de Medellin a fini par incarner la continuité, à la tête d’une campagne millionnaire, soutenu par les forces gouvernementales. Est-ce pour autant la fin du cycle Uribiste dans le pays ? La victoire de Gustavo Petro le 19 juin prochain en serait la preuve. Il n’en reste pas moins que le second tour, malgré l’avance du candidat du Pacte historique, est pour le moins incertain. Ce premier tour marque l’effacement des partis traditions. Mais c’était déjà le cas avec la victoire d’Alvaro Uribe en 2002, candidat libéral dissident. Le duopole libéraux-conservateurs est en déclin, il a fini par s’effacer de l’élection présidentielle.

Un populiste de droite, attrape-tout et anti-système

La présence au second tour du candidat Rodolfo Hernández, sorte de Trump andin, ancien maire de Bucaramanga n’est pas le meilleur scénario pour la gauche. Il prive Petro d’un second tour projet contre projet, et d’une campagne de polarisation contre l’extrême-droite au pouvoir. Le bilan désastreux de Duque était un des meilleurs arguments de la gauche. La campagne de Hernández connaît une dynamique inédite dans l’opinion. Le seul ralliement notable, sans qu’il n’affecte en rien le positionnement du candidat, fut celui d’Ingrid Betancourt, à la peine avec sa propre candidature anti-corruption. Cet entrepreneur se présente comme un candidat anti-système, luttant contre les mafias et la corruption, indépendant des appareils politiques. « Le candidat du bon sens », assure-t-il. Il a cependant pris soin de marteler pendant les dernières semaines de la campagne qu’il était le seul à pouvoir battre Gustavo Petro…

C’est en fait un homme de droite, extrêmement conservateur, dont le programme sommaire se concentre sur une dénonciation de la corruption, une proposition de baisse de la TVA à 10%, un programme de construction de maisons en zone rurale pour s’attaquer au déplacement forcé (!) et un programme éducatif où il propose un management entrepreneurial pour les universités. Son projet politique ne propose aucun changement structurel en faveur d’une politique plus juste.

Ralliements et reconfiguration pour le second tour

Les ralliements immédiats des figures de l’Uribisme une fois les résultats connus du premier tour montrent que Rodolfo Hernández est devenu de facto le candidat de la droite au pouvoir, de cette oligarchie que le moindre changement effraie. De fait, son résultat dans des régions où le poids électoral de l’Uribisme est incontournable indique qu’une partie des forces conservatrices l’avait déjà choisi, dès le premier tour, comme rempart contre la gauche.

Gustavo Petro n’a bénéficié d’aucun soutien au soir du premier tour parmi les candidats éliminés. Sergio Fajardo, candidat centriste social libéral, soutenu par le parti Vert, s’est contenté de saluer la volonté de changement exprimée par l’électorat, sans prendre position. Fajardo, et d’autres, tentent de construire un récit qui ferait de ce premier tour le résultat d’un changement de fond, effaçant les vieilles forces et marquant la fin de l’Uribisme. C’est en apparence la réalité. Renvoyer dos-à-dos le candidat de la gauche et celui qui bénéficie du soutien de toutes les droites vise à éviter de prendre position et finalement à s’accommoder que rien ne change.

C’est donc un second tour ouvert et incertain. L’arithmétique ne semble pas si favorable aux forces de gauche. La volonté de changement qui s’est exprimée ne saurait laisser aux portes du pouvoir celui qui l’incarne.

« La pelea se pelea ». La bataille se mène en bataillant.

 

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